jeudi 27 septembre 2012

Le Budapest Festival Orchestra et Iván Fischer ont enflammé la Salle Pleyel dans un programme Bartók/Mahler avec un violoniste de feu, Jószef Lendvay

-->
Paris, Salle Pleyel, mercredi 26 septembre 2012

 Photo : (c) Salle Pleyel
  
Les absents ont toujours tort… Pleyel n’était pas tout à fait plein, et c’est fort dommage, car l'événement musical de la semaine était bel et bien ce mercredi soir rue du faubourg Saint-Honoré... C’est en effet un extraordinaire concert qu’ont proposé le Budapest Festival Orchestra et son directeur-fondateur Iván Fischer.  

Le programme et ses interprètes étaient quasi à cent pour cent hongrois, Gustav Mahler étant d’un peu partout et de nulle part dans l’empire bicéphale austro-hongrois des Habsbourg, comme il le disait lui-même (1), et ayant en outre travaillé à Budapest comme directeur de l’Opéra de 1888 à 1890, époque où il composait ses deux premières symphonies.

Deux œuvres de Bartók sonnant sous les doigts de ces musiciens de façon idiomatique, avec des Chansons paysannes hongroises pour orchestre Sz. 100 de 1933 jouées comme si les soixante six musiciens étaient autant de voix humaines fleurant bon le terroir, bruissant, grondant, respirant, chantant avec un naturel stupéfiant. Le Concerto n° 1 pour violon et orchestre Sz. 36 (1907-1908), moins connu que le second d’autant qu’il n’a été redécouvert qu’en 1956 et créé en 1958 à Bâle sous la direction de Paul Sacher avec en soliste Heinz Schneeberger, est en fait un poème symphonique intime qui présente deux aspects de l’être aimé, la violoniste Stefi Geyer, chacun des deux mouvements (au lieu des trois habituels dans un concerto) illustrant l’un des aspects de l’artiste, la femme sublime et lumineuse dans le premier et la musicienne virtuose dans le second. Bartók reprendra d’ailleurs l’idyllique morceau initial en introduction comme premier des deux Portraits pour orchestre, Egy Ideális (idéal) dès 1908, tandis que le second mouvement est empli de rythmes brillants et d’élans populaires. De ce fait, le violon est doué de vies multiples réclamant du soliste virtuosité et maîtrise du son exceptionnelle. Taillé tel un bûcheron voire un ermite jamais sorti de sa forêt, le cheveu long frisé noir et touffu jamais passé chez un coiffeur, le soliste, Jószef Lendvay, inconnu de moi jusqu’à hier soir, s’avère un monstre de virtuosité naturelle, jouant sans effort, exaltant des sons inouïs avec un naturel confondant tant il n’a pas l’air de toucher à son instrument, un superbe Stradivarius, le « Ex Ries » de 1691, ni des doigts ni de l’archet, comme sur un violon enchanté... Un véritable équilibriste venu d’une autre planète, jouant dans un bis inouï (était-ce une pièce de Fritz Kreisler ? un Paganini ?) des pizzicati des deux mains tout en faisant rebondir un archet comme en apesanteur…

En seconde partie, L’orchestre hongrois et Ivan Fischer ont donné une interprétation grandiose de la Symphonie n° 5 en ut dièse mineur (1901-1902) de Mahler. L’on a senti que l’on allait vivre un grand moment dès l’attaque à découvert d’une prodigieuse trompette solo (tenue par Zsolt Czeglédi), qui, voyant sans doute arriver la fin du long premier mouvement dans lequel il a fort à faire puisque c’est à lui qu’est confié l’essentiel du matériau de ces vingt minutes de musique avant d’être souvent à découvert par la suite, s’est légèrement  relâché dans sa phrase ultime s’achevant ppp a capella à la fin de la coda. Autre performance remarquable, le cor solo (Zoltán Szöke) que Fischer a étonnamment placé dans le troisième mouvement sur le devant de la scène, entre lui et le premier violon, Giovanni Guzzo, tout aussi magistral… Mais tous les pupitres seraient à féliciter – notamment la harpiste Ágnes Polónyi, le premier altiste Ferenc Gábor, son homologue contrebassiste Zsolt Fejévári, la flûtiste Gabriella Pivon, le hautboïste Victor Aviat, le clarinettiste Ákos Ács, le bassoniste Moritz Winker, le tromboniste Balázs Szakszon et le tubiste József Bazsinka, entre autres), tant l’ensemble de la phalange s’est avéré d’une dextérité exemplaire, faisant à eux tous un orchestre remarquable d’équilibre, de cohésion magnifiée par un évident bonheur de jouer ensemble. De vrais musiciens à la virtuosité de tziganes ! Iván Fischer dirige sans en avoir l’air, le geste rare mais large et précis, battant souplement la mesure, ouvrant largement les bras dans les moments de tendresse et de poésie, s’économisant toujours pour laisser libres ses musiciens et porter l’écoute du public à son comble et lui donner des sueurs d’émotion. Une ovation extraordinaire s’est d’ailleurs élevée de la salle à la fin de l’exécution, le public ne bougeant pas tant que le chef ait tiré son premier violon par la manche.

Bruno Serrou

1) « Je suis trois fois apatride, disait Mahler, en tant que natif de Bohême en Autriche, comme un Autrichien parmi les Allemands, et en tant que Juif dans le monde entier. Partout un intrus, jamais bienvenu. »

4 commentaires:

  1. Nous étions au deuxième rang du parterre. J'en ai encore des frissons. Lendvay est un magicien. Un de ces violonistes qui sait faire pleurer et rire son instrument avec une richesse de couleurs qui me faisait penser à Heifetz.
    Il fallait voir le regard des musiciens de l'orchestre en train de contempler l'Artiste pendant son bis.
    Le Budapest Festival Orchestra produit un son d'une puissance et d'une précision dans Mahler qui le hisse au niveau de Vienne, du Concertgebouw ou de Berlin (quand ces 3 orchestres sont bien dirigés...).
    Et en matière de direction, Iván Fischer danse son Mahler plus qu'il ne le dirige. Il le chante, il le crie (c'était très audible au 2ème rang). Il emporte son orchestre qui fait corps avec lui. Sous sa baguette l'Adagietto n'est pas larmoyant. Et le Rondo Finale vous laisse collé au siège.
    Bravo à ces artistes.

    RépondreSupprimer
  2. Superbe compte-rendu, Philippe, qui complète fort à propos le mien. Merci pour votre enthousiasme et bravo pour votre écouté.
    Bien à vous
    Bruno

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Complètement d'accord avec vous deux, ce sont des musiciens incroyables, j'ai rarement entendu un Mahler aussi ébouriffant, aussi charnu.

      (la salle Pleyel avait toutefois inséré une coquille dans la note de programme, que je me permets de signaler, le nom de famille du cor solo est Szőke, et non Szdke)

      Supprimer
    2. Merci Klari pour ce commentaire et, surtout, pour le rectificatif, que je me suis empressé de suivre en corrigeant mon erreur. L'intéressé sera sûrement ravi que son nom ne soit pas écorché.
      Bien cordialement

      Supprimer