lundi 10 décembre 2012

Le grand pianiste et musicologue américain Charles Rosen est mort dimanche 9 décembre 2012 à 85 ans




Charles Rosen (1927-2012) au piano travaillant chez Elliott Carter (1908-2012), debout à droite. Photo : (c) Charles Rosen, DR


Né à New York le 5 mai 1927, entré à 7 ans à la Juilliard School, où il étudia de 1934 à 1938, Charles Rosen devint en 1938 l’élève de Moritz Rosenthal, un disciple de Franz Liszt. Diplômé de littérature française de l’Université de Princeton dans le New Jersey - il est titulaire d’un Ph.D sur Jean de La Fontaine -, il avait fait ses débuts comme pianiste à New York en 1951. Il a enseigné à New York et à Berkeley, en Californie. Son œuvre musicologique exerce une grande influence, autant par la qualité de ses analyses que par sa profonde compréhension des styles, du classicisme viennois jusqu’à la Seconde Ecole de Vienne en passant par le romantisme. 

Excellent pianiste, son art reste peu connu en France, malgré sa riche discographie, qui compte notamment des enregistrements des dernières Sonates et des Variations Diabelli de Beethoven et de l’Art de la Fugue de Jean-Sébastien Bach. Mais c’est à la musique du XXe siècle que le pianiste Rosen s’est consacré avec le plus de succès, comme en témoignent ses disques consacrés aux Etudes de Claude Debussy, à Igor Stravinski et à Pierre Boulez, avec qui il a participé à la première intégrale Anton Webern publiée chez CBS/Sony. En outre, son nom est intimement lié à celui d'Elliott Carter dont il a créé plusieurs pièces et enregistré l’intégrale de l’œuvre pour piano, et à qui il a dédié son livre le plus célèbre, Le style classique, Haydn, Mozart, Beethoven (1).

Photo : (c) Philippe Provensal/Cité de la Musique

Que ce soit comme musicologue ou comme pianiste, Rosen se considérait avant tout comme un interprète, autant sur le plan de la geste musicale que de la réflexion. « Théoricien dilettante » rétif à toute forme « d’industrie académique » de l’analyse, la singularité de sa situation tient à son absence de formation universitaire musicologique et à son intérêt pour l’Histoire, la sociologie et les arts en général qui sert de soubassement à l’ensemble de ses analyses et ce qui en fait la force et l’originalité, ce qui n’a pas empêché ses très nombreux textes et ouvrages, jamais doctes mais écrits dans un style d’essence littéraire, d’être appréciés et érigés en références par les docteurs ès-musicologie du monde entier. Dans Le style classique, Rosen reconsidère la notion controversée de style musical classique apparue vers 1775 et éteinte avec la mort de Beethoven, en 1827. A partir des symphonies et quatuors à cordes de Haydn, des concertos, quintettes et opéras de Mozart, et des sonates pour piano de Beethoven, il démontre qu’une même tension dramatique est au cœur de toutes ces œuvres et en tire la définition du style classique comme « la résolution symétrique de forces opposées ». 

Autre ouvrage important, sans doute le plus accompli, La génération romantique, Chopin, Schumann, Liszt et leurs contemporains (2). Rosen y fait revivre le bouillonnement du romantisme à travers ses analyses clairvoyantes et détaillées d’œuvres de Bellini, Berlioz, Chopin, Liszt, Mendelssohn-Bartholdy, Schubert et Schumann. Tout en démontrant son propos dans les œuvres qu’il a lui-même enregistrées pour un CD que l’éditeur a inclus dans le livre, Rosen montre comment ces compositeurs, réagissant aux nouveaux courants de pensée venus des sciences, des arts plastiques, de la littérature, de la philosophie, inventent une multitude de solutions personnelles, souvent contradictoires. Parmi ses autres ouvrages, le touchant petit livre très dense Schoenberg paru dans les années 1970 (3) où il évoque le maître de la Seconde Ecole de Vienne à travers l’analyse du monodrame Erwartung, et Formes sonate (4), dans lequel il étudie la genèse dans la première moitié du XVIIIe siècle, à travers l’aria d’opéra et la forme concertante. 

Bruno Serrou

Bibliographie :

1) Editions Gallimard collection « Tel », 676 pages, publié 1971, 1972, 1978, 1997, 2000, 2011

2) Editions Gallimard « NRF », 896 pages + CD, publié 1995 pour l’édition anglaise et 2002 pour la traduction française

3) Les Editions de Minuit, collection « Critique », 112 pages, publié en 1979 et réédité en 1990

4) Editions Actes Sud, 443 pages, 1993

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