jeudi 28 février 2013

Van Cliburn, le musicien de la paix au temps de la guerre froide qui a donné son nom à l’un des plus fameux concours internationaux de piano est mort mercredi 27 février 2013




Van Cliburn (1934-2013), jouant dans la Grande Salle du Conservatoire de Moscou pendant le Premier Concours International Tchaïkovski, en 1958


Van Cliburn, le pianiste américain dont la victoire au Premier Concours international Tchaïkovski de Moscou en 1958 a fait du jour au lendemain une star planétaire du piano, le propulsant sur le champ dans une carrière lucrative et un succès phénoménal quoique de courte durée, est décédé mercredi 27 février 2013 en son domicile de Fort Worth au Texas des suites d’un cancer des os. Il avait 78 ans

 Nikita Khrouchtchev félicitant Van Cliburn au soir du Premier Concours International Tchaïkovski, en 1958

A 23 ans, immense silhouette dégingandée aux mains démesurées, Van Cliburn avait fait sensation en remportant en pleine guerre froide, tandis que les autorités soviétiques attendaient une victoire de l’un de leurs concitoyens, le premier Concours International Tchaïkovski, manifestation quadriennale créée en 1958 en vue de démontrer la supériorité de la culture soviétique. L’exploit, à Moscou, a été vécu comme le triomphe des Etats-Unis sur l’Union soviétique. Sa prestation dans le Concerto n° 1 pour piano et orchestre de Tchaïkovski et le Concerto n° 3 pour piano et orchestre de Rachmaninov lui a valu une ovation debout de huit minutes d’un public conquis par son talent exceptionnel. Ce qui conforta les juges du concours dans leur décision les incita à demander au Premier secrétaire du Parti communiste, Nikita Khrouchtchev, le droit de récompenser le jeune Américain. « Est-il le meilleur ? », demanda Khrouchtchev. « Alors, donnez-lui le prix ! » Tandis qu’Emil Gilels, membre du jury du concours, se précipitait dans les coulisses pour embrasser Van Cliburn, Sviatoslav Richter, autre juré, le qualifiait de « génie », avant d’ajouter : « Je n’ai pas pour habitude d’utiliser ce terme à la légère à propos des artistes. »



Grâce à cette victoire, le pianiste texan a très vite connu une popularité digne d’une pop-star, attirant l’attention dans son propre pays sur la musique classique dont l’audience commençait à décliner plus ou moins. Lorsqu’il revint aux Etats-Unis, Van Cliburn a eu droit à New York à une « ticker-tape parade » au cœur de Manhattan, devenant ainsi le premier musicien à être acclamé par cent mille personnes rassemblées dans Broadway. Tandis que Time Magazine fait sa une sur une photo du pianiste, titrant « Le Texan qui conquit la Russie », le maire de New York, Robert F. Wagner, déclare lors d’une cérémonie à la mairie : « Avec ses deux mains, Van Cliburn a touché une corde sensible qui a résonné partout dans le monde, ce qui élève notre prestige auprès des artistes et des mélomanes du monde entier ».


Né à Shreveport en Louisiane le 12 juillet 1934, Harvey Lavan (Van) Cliburn Jr. s’était mis au piano à 3 ans, mimant les étudiants de sa mère, Rildia Bee O’Bryan, elle-même élève d’Arthur Friedheim (1859-1932), disciple de Franz Liszt, qui sera sa seule professeur jusqu’à l’âge de 17 ans. A 4 ans, il donnait ses premiers concerts, et remportait à 12 ans un premier concours au Texas, où ses parents s’étaient installés en 1940. Ce qui lui aura permis de se produire aussitôt avec l’Orchestre Symphonique de Houston, déjà dans le Concerto n° 1 de Tchaïkovski. A 17 ans, il entrait à la Juilliard School de New York, où il devint l’élève de Rosina Lhevinne, qui le forgea à la tradition russe du piano. A 20 ans, il remportait le prix de la Fondation Leventritt qui lui ouvrit les portes du Carnegie Hall et de cinq grands orchestres américains, dont l’Orchestre Philharmonique de New York sous la direction de Dimitri Mitropoulos dans le Concerto pour piano n° 1 de Tchaïkovski. Ainsi, Van Cliburn entrait de plain-pied au sein de cette génération de pianistes américains alors des plus prometteurs, aux côtés de Leon Fleisher, Byron Janis et Gary Graffman


Barack Obama remettant à Van Cliburn la National Medal of Arts à la Maison Blanche le 2 mars 2011


Doté de mains d’une amplitude hors norme, Van Cliburn était un pianiste au talent naturel qui a développé une technique magistrale et une sonorité extraordinairement chaude, le tout au service d’une profonde sensibilité musicale. A son meilleur, son jeu était d’une ferveur toute romantique dont les élans étaient atténués par une retenue. Mais, dès la fin des années 1960, l’emphase et l’affectation de son jeu ont rendu chacune de ses apparitions, qu’il commençait le plus souvent par le Star-Spangled Banner, toujours plus caricaturales.  



Sa victoire moscovite fut à la fois un révélateur et une entrave. Si les invitations se sont mises à s’accumuler, organisateurs et public ne souhaitaient l’entendre que dans les deux concertos avec lesquels il avait gagné le Concours Tchaïkovski. « Quand je l’ai remporté, je n’avais que 23 ans, et tout le monde en parlait, constatait-il en 2008. Mais je me sentais comme si j’étais titulaire de ce prix depuis vingt ans. C’était passionnant d’être désiré. Mais c’était aussi une pression. » Tant et si bien que son répertoire resta restreint, tandis que ses prestations publiques se limitèrent dès les années 1960. Puis il finit par se retirer de la scène en 1978. Il revint cependant en 1989, avec un concert à Philadelphie, mais ses apparitions seront toujours occasionnelles. Dans l’intervalle, il avait donné son nom au Concours de Fort Worth qui a couronné des pianistes de renom, comme Yuri Egorov, Radu Lupu, Cristina Ortiz, Nicolaï Petrov, Christian Zacharias… Van Cliburn a donné son ultime concert en septembre dernier au Bass Performance Hall de Fort Worth pour le cinquantième anniversaire de la Fondation Van Cliburn. 

Bruno Serrou

Parmi les enregistrements de Van Cliburn, un indispensable, le CD qui rassemble le Concerto n° 1 de Tchaïkovski et le Concerto n° 3 de Rachmaninov, le premier dirigé par Kirill Kondrachine, captation « live » du Concours Tchaïkovski avec l’Orchestre Philharmonique de Moscou, le second dirigé par Fritz Reiner à la tête de l’Orchestre Symphonique de Chicago (1CD RCA Living Stereo). A noter que RCA a publié l’intégrale de ses enregistrements réunis en un coffret de 29 CD (RCA Red Seal 540723)

Photo : Photos DR

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