mercredi 13 mars 2013

Eblouissant Falstaff d’Ambrosio Maestri à l’Opéra de Paris malgré une direction et une mise en scène trop apathiques

Paris, Opéra national de Paris Bastille, mardi 12 mars 2013


A l’instar des Noces de Figaro de Mozart ou du Chevalier à la rose de Strauss, Falstaff est un opéra d’ensembles. D’autant plus que les airs sont fort brefs, le vieux Verdi, pour son chant du cygne, s’attachant avant tout au théâtre. Les chanteurs n’ont qu’une aria ou une scène pour s’illustrer seuls. Conçue par un compositeur âgé de 80 ans qui, avec l’aide d’un librettiste génial, Arrigo Boïto, retrouvait pour la troisième fois des personnages puisés chez Shakespeare, l’œuvre elle-même est d’une vivacité et d’une énergie époustouflantes, action et partition se présentant comme de véritables tourbillons tel un feu follet continu.  


Ambrogio Maestri (Sir John Falstaff). Photo : (c) Mirco Magliocca/Opéra de Paris


Créée en 1999 à l’Opéra Bastille, scène surdimensionnée en regard de la proximité théâtrale que l’ouvrage exige, reprise en 2003, la production de Falstaff de Dominique Pitoiset que l’Opéra de Paris reprend en ce moment dans cette même salle est la seule œuvre cette saison du bicentenaire de Giuseppe Verdi proposée par la « Grande Boutique » (terme utilisé par Verdi pour désigner l’Opéra de Paris), qui proposera la prochaine saison deux de ses ouvrages, ouvrant sur une Aïda confiée à Philippe Jordan et Olivier Py et concluant sur une Traviata mise en scène par Benoît Jacquot et dirigée par le même Daniel Oren que dans le présent Falstaff

 Gaëlle Arquez (Mrs Meg Page), Marie-Nicole Lemieux (Mrs Quickly), Elena Tsallago (Nanetta) et Svetla Vassileva (Mrs Alice Ford). Falstaff, Acte I, scène 2. Photo : (c) Mirco Magliocca/Opéra de Paris

Moins de cinq ans après la production dans un théâtre plus à sa mesure, le Théâtre des Champs-Elysées dirigé par Alain Altinoglu, il est clair que la salle de Bastille est beaucoup trop vaste pour Falstaff, autant la fosse que le plateau. Côté fosse, le chef israélien Daniel Oren, qui excelle pourtant dans Verdi, est ici sans esprit, imprécis jusqu’au brouillon, empêtré dans un orchestre qui n’attaque jamais, tant et si bien que l’œuvre traîne et s’essouffle. L’orchestre sonne bien, comme toujours, mais n’est jamais poussé à mettre en relief la diversité de l’invention verdienne dans le domaine des couleurs, des rythmes et d’une orchestration qui va du très grand orchestre à la musique de chambre. L’on ne trouve pas la vigueur, l’allant, le tranchant, et finalement le ton de la comédie qui découlent pourtant de cette œuvre pleine de verve. C’est prudent, linéaire, sans engagement, et peu stimulant pour les chanteurs. Ces derniers sont scéniquement livrés à eux-mêmes, comme perdus dans l’immense vaisseau Bastille. 

 Ambrogio Maestri (Sir John Falstaff), Svetla Vassileva (Mrs Alice Ford). Falstaff, Acte II, scène 2. Photo : (c) Mirco Magliocca/Opéra de Paris

Côté mise en scène, c’est un peu la même chose. Dominique Pitoiset situe l’action au début du XXème siècle derrière les docks qui longent la Tamise. Faisant glisser le décor d’Alexandre Belaiev, il place ses protagonistes dans une rue qui devient terrasse de l’auberge de la Jarretière puis cour, le tout continuellement adossé à une façade d’immeubles en briques glissant vers cour ou jardin selon les tableaux, qui du coup ne changent guère l’atmosphère, y compris dans la scène finale sensée se passer au cœur de la forêt de Windsor, réduite ici à la projection d’un chêne multiséculaire sur ledit mur. Si bien que la féerie nocturne et sylvestre de ce dernier tableau est totalement gommée, et l’on finit frustré par le manque de densité de ce spectacle qui ne met en exergue ni les aspects festifs ni les implications sociétales de cette merveilleuse comédie de mœurs inspirée de Shakespeare et remarquablement campée par Arrigo Boïto. 

Falstaff, Acte II, scène 2. Photo : (c) Mirco Magliocca/Opéra de Paris

Néanmoins, sur le plan vocal, le plaisir est certain, tant la distribution est brillante et homogène. Dans le rôle-titre, Ambrogio Maestri s’impose brillamment. Même s’il accuse parfois la fatigue, sa projection vocale et son style de chant compense la côté conformiste du personnage imposé par le metteur en scène, mais ce qu’il perd en pittoresque, son John Falstaff le gagne en tempérence et en noblesse, évitant subtilement toute tentation caricaturale. Les personnages de commedia dell’arte souffrent le plus de cette vision globale plutôt amorphe. Ainsi, surtout dans le premier acte où leurs railleries tombent à plat, le trio Bardolfo-Pistola-Cajus manque de caractère, même si Raúl Giménez s’avère un vaillant Docteur Cajus, tandis que les compères (Bruno Lazzaretti et Mario Luperi) sont comme égarés, tandis que l’aubergiste manque de conviction. Paolo Fanale, qui excellait  en Fenton au Théâtre des Champs-Elysées, est apparu vocalement moins à l’aise, contraint de pousser sa voix pour se faire entendre, mais son indéniable présence scénique a largement compensé cette carence. Chanté d’une voix magnifique, le Ford d’Artur Rucinski manque de puissance pour Bastille. 

 Falstaff, Acte III, scène 2. Photo : (c) Mirco Magliocca/Opéra de Paris

Chez les dames, ce sont Marie-Nicole Lemieux et Elena Tsallagova qui ont imposé leur marque. L’abattage, la truculence de la première en Mrs Quickly on conforté la richesse harmonique de son timbre et le côté abyssal de son grave. Voix fraîche et limpide, la seconde excelle en séduction en Nanetta, rôle quasi impossible il est vrai à dénaturer tant il est suprêmement ciselé par le vieux Verdi pour les timbres juvéniles, ce qui ne manque assurément pas à la soprano russe. Impressionnante de puissance et de souffle, Svetla Vassileva est une Mrs Alice Ford guère malicieuse mais elle domine les ensembles sans avoir à se forcer. Voix froide et raide, la Mrs Meg Page de Gaëlle Arquez constitue le maillon faible de la distribution, malgré une présence scénique indubitable. 

Mais il était difficile hier soir d’entrer complètement dans le spectacle présenté, tant les caméras disséminées dans la salle pour les besoins d’une diffusion en direct dans les salle de cinéma du réseau UGC ont gêné par la puissance de la luminosité de leurs viseurs.  

Bruno Serrou

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