jeudi 20 juin 2013

A l'IRCAM, deux œuvres-phares de Yan Maresz ont serti deux créations notables, l’une de la jeune Diana Soh l’autre de Luis Fernando Rizo-Salom

Paris, Festival ManiFeste 2013, IRCAM, Espace de Projection, mercredi 19 juin 2013

Yan Maresz (né en 1966)

Pas de nouveauté signée Yan Maresz pour le second « Portrait » que lui aura consacré le festival ManiFeste de l’IRCAM, a contrario du premier (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/06/avec-tutti-yann-maresz-offert-au-public.html). Cette fois, le compositeur français né à Monaco en 1966 a fait figure de référent, deux de ses pièces composées entre 1995 et 2001 à l’IRCAM, dont elles sont autant d’œuvres emblématiques à l’instar de plusieurs partitions de Philippe Manoury, ont encadré deux créations, l’une de Diana Soh, l’autre de Luis Fernando Rizo-Salom.

Laurent Bômont, créateur de Metallics, membre de l'Ensemble Court-Circuit

Metallics, pour trompette et dispositif électronique en temps-réel, est l’une des pages les plus représentatives à la fois de son auteur, Yan Maresz, et de l’IRCAM, où elle a été réalisée. Conçue en 1994 durant le Cursus de composition et d’informatique musicale de l’IRCAM, révisée en 2001, cette pièce est à la source de la mise au point par l’Institut de deux outils conçus pour une plus grande interactivité entre l’instrument et l’ordinateur, un micro-capteur placé dans l’embouchure de l’instrument qui, par une analyse extrêmement précise du signal d’entrée, permet le suivi de hauteurs et d’amplitude, et un petit déclencheur situé sur l’instrument actionné par l’interprète par le biais de son pouce ( pour davantage de précisions, voir http://www.yanmaresz.com/catalogue/metallics). Désormais au répertoire de tous les trompettistes un tant soit peu ouverts à la musique de notre temps, Metallics a été interprété hier par le créateur des trois versions qu’a connues l’œuvre, Laurent Bômont. Membre de l’Ensemble Court-Circuit, jouant l’œuvre avec une aisance naturelle, passant dextrement d’une sourdine à l’autre, il en a donné une interprétation lumineuse l’inscrivant à la fois dans la modernité et dans le classicisme, secondé par une électronique bien assimilée et qui apparaît du coup sans artifices, tant timbres et sons sont subtilement dosés et son utilisation fluide…

Diana Soh (née en 1984)

Après une diffusion des sons informatiques sans accroc, l’on s’attendait à ce que l’œuvre suivante, usant de procédés voisins de ceux de Metallics, soit diffusée sans pus de problèmes côté console… Or, cela n’aura pas été le cas, ladite œuvre, donnée en création, ayant connu d’entrée un aléa électronique. A la vue du visage de la soprano allant se décomposant, le public a très vite compris qu’il se passait quelque chose d’anormal, avant qu’elle n’interrompt soudain l’exécution et fasse signe à la technique de sa décision, puis, une longue poignée de secondes plus tard, de donner un nouveau départ, une fois le problème résolu dans la bonne humeur. Arboretum : of myths and trees de Diana Soh (née en 1984) a été réalisé en 2012-2013 dans le cadre du Cursus 2 de composition et d’informatique de l’IRCAM, à l’instar de Metallics de Maresz dix-huit ans plus tôt. La jeune singapourienne, qui a commencé le piano à 4 ans dans sa ville natale avant de se rendre à Buffalo (Etats-Unis) et de passer entre autres par Royaumont, Acanthes et Gaudeamus, a choisi de mettre en musique un texte en trois parties de James R. Currie - Diana Soh a déjà composé un opéra de chambre (The Boy who lived down the lane) sur un livret de Currie - consacré au mythe d’Apollon et Daphné, qui a inspiré quantité de poètes et de compositeurs - Richard Strauss en a tiré un opéra en 1936 trop rare sur les scènes françaises. Ecrite pour soprano, deux flûtes, harpe, piano et dispositif électronique, la partition atteste d’une énergie et d’une maîtrise du son, de la voix et de l’outil informatique incontestable.  

Elise Chauvin (soprano)

La cantatrice - impressionnante Elise Chauvin -, est la maîtresse du jeu, la compositrice lui ayant donné la place centrale en lui attribuant le contrôle de l’exécution des traitements électroniques sur la harpe et le piano par une série de gestes de ses mains dotées de mitaines précisément notée, tandis que son chant trouve sa résonance dans les sons émis par les flûtes. Cette œuvre d’une douzaine de minutes trahit une vraie musicienne, qui sait utiliser l’informatique tel un instrument à part entière, à l’instar de la voix et de l’instrumentarium acoustique, que la première prolonge et enrichit en parfait syncrétisme. La stridence d’une fréquence de flûte qui vrillait tel un bourdon dans mon oreille m’a gêné dans la perception de l’œuvre, tandis que l’écriture vocale est souvent dans le cri, mais il en émane étonnamment quelque chose de fin, de fruité. Des qualités intrinsèques qui laissent percevoir beaucoup de potentiel.

Luis Fernando Rizo-Salom (né en 1971)

La seconde œuvre en création, seule pièce du programme dirigée – le directeur musical de Court-Circuit, Jean Deroyer, était au pupitre du chef -, a été le sextuor pour vents et cordes (flûte, clarinette, cor, violon, alto et violoncelle) sans électronique de Luis Fernando Rizo-Salom (né en 1971). Les Quatre pantomimes pour six  du compositeur colombien est immédiatement séduisante, avec ses rythmes syncopés, son énergie vitale qui ne cesse de se renouveler et qui lui donne une pulsation conquérante. Le violoncelle est l’assise de la pièce, Rizo-Salom lui faisant utiliser tous les modes de jeux possibles, et le cor, dont les hurlements et les stridences usent continuellement de glissandi, ce qui donne à l’œuvre un côté ludique de bon aloi, à l’instar de la partition entière, joyeuse, joueuse, complexe mais sans en avoir l’air...

Créée le 6 juin 2004 par l’Ensemble Intercontemporain dans le cadre du Festival Agora de l’IRCAM (l’ancêtre de ManiFeste), la seconde œuvre de Yan Maresz proposée hier, Sul Segno, associe harpe, guitare, cymbalum, contrebasse à cinq cordes et dispositif électronique. Dans cette œuvre de vingt minutes, le compositeur reprend le matériau du ballet Al Segno qu’il avait composé en 2000 à la demande de l’IRCAM pour le chorégraphe François Raffinot alors en résidence à l’Institut. Sul Segno explore les aptitudes des instruments résonnants à cordes pincées étendues à l’électronique. Ce qui en résulte, après une amorce difficile - les régisseurs son ont eu du mal à trouver leurs marques avec la contrebasse -, est d’un raffinement et d’une sensualité extrêmes pas même réfrénés par l’étonnante énergie qui émane de l’œuvre en regard de l’effectif réuni sur le plateau. 

Musiciens de l'Ensemble Court-Circuit

Les musiciens de Court-Circuit, ensemble dont Yan Maresz est l’un des compositeurs fétiches, ont donné de chacune des œuvres du programme une interprétation au cordeau, suscitant un plaisir de l’écoute continu. Tant et si bien qu’il m’est impossible de résister au plaisir de les citer tous : Jérémie Fèvre et Marion Ralincourt (flûte), Pierre Dutrieu (clarinette), Antoine Dreyfuss (cor), Laurent Bômont (trompette), Françoise Rivalland (cymbalum), Jean-Marie Cottet (piano), Véronique Ghesquière (harpe), Christelle Séry (guitare), Alexandra Greffin (violon), Claire Merlet (alto), Pablo Tognan (violoncelle) et Didier Meu (contrebasse), rejoints par la soprano Elise Chauvin.

Bruno Serrou

Photo : DR


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