dimanche 2 février 2014

A l’Opéra du Rhin, un Fliegende Holländer à écouter

Strasbourg, Opéra national du Rhin, mardi 28 janvier 2014

Richard Wagner (1813-1883), Der fliegende Holländer. Jason Howard (le Hollandais). Photo : (c) Alain Kaiser, DR

Quatrième partition scénique de Richard Wagner, composée en 1843, Der fliegende Holländer est le premier des dix opéras du maître saxon à avoir été jugé digne par ses descendants d’accéder à la scène du Festspielhaus de Bayreuth. Sa durée, comparable au seul Or du Rhin dans la création wagnérienne qui, comme le prologue du Ring des Nibelungen, est aussi donné sans entracte, et sa structure traditionnelle qui laisse déjà percevoir la révolution formelle de Wagner, ainsi qu’un certain nombre de ses grands thèmes, comme l’errance, le sacrifice, la rédemption par l’amour.

Richard Wagner (1813-1883), Der fliegende Holländer. Jason Howard (le Hollandais), Gijs Van der Linden (le Timonier), Kristinn Sigmundsson (Daland). Photo : (c) Alain Kaiser, DR

Quatre mois après l’extraordinaire interprétation concertante du chef canadien Yannick Nézet-Séguin au Théâtre des Champs-Elysées (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/09/yannick-nezet-seguin-evgeny-nikitin.html), il convient de saluer la prestation du slovène Marko Letonja dans la fosse de l’Opéra de Strasbourg (2) avec des musiciens de l’Orchestre strasbourgeois plus homogènes qu’ailleurs bien que moins aguerris que leurs collègues de l’Orchestre de Rotterdam. Les tempêtes instrumentales, impressionnantes, ont instillé une force dramatique conquérante, portant l’œuvre à ébullition, au risque d’affecter les moments de poésie que recèle la partition. Si Jason Howard n’a pas la vaillance de son confrère russe Evgeny Nikitin, l’on retrouve chez le baryton gallois l’être noble à la personnalité complexe qui fit de lui un impressionnant Wotan dans ce même Opéra de Strasbourg dans la brillante mise en scène de David McVicar en 2007-2009. A ses côtés, la Senta toute en bravoure et en générosité de Ricarda Merbeth, et le cupide Daland de Kristinn Sigmundsson non dénué d’humanité, tandis que Thomas Blondelle campe un ardent Erik, et Eve-Maud Hubeaux une Mary au timbre de velours.

Richard Wagner (1813-1883), Der fliegende Holländer. Jason Howard (le Hollandais), Ricarda Merbeth (Senta). Photo : (c) Alain Kaiser, DR

Côté mise en scène, de vaisseau, l’on n’en est pas question. Seule la mer en renvoie l’allusion. Daland est un commerçant ayant pignon sur rue, l’imposante enseigne à son nom de son magasin écrase les protagonistes les deux derniers actes durant. L’action sent les embruns, la tempête et l’iode, mais le Hollandais vient de nulle part, tandis que ses matelots sont confinés dans un ascenseur en plexiglas, où ils sont longuement entassés. Fondant dans un même bloc costumes et accessoires années quarante et cinquante, se dispersant dans un décor unique fait de poutrelles et de niches conçu par Raimund Bauer (décor) et Andrea Schmidt-Futterer (costumes), tous deux signataires par ailleurs de la scénographie kitsch de la Fanciulla del West actuellement présentée à l’Opéra de Paris, le metteur en scène berlinois Nicolas Brieger se tient systématiquement à l’écart de l’esprit de Heinrich Heine qui a inspiré le compositeur au même titre que du mythe du juif errant pour plonger une fois de plus dans une production d’un opéra wagnérien, à l’instar de trop de ses compatriotes allemands de sa génération, dans la période nazisme et la Shoa. Des incohérences ponctuent l’action, comme l’arrivée du Hollandais une valise en carton à la main semblant sortir d’un train misérable, et, plus troublant encore, la scène des fileuses qui, au lieu de rouets, poussent en cadence de façon caricaturale telles des nurses de pacotille des landaus plus ou moins sortis de chez Mary Poppins...


Bruno Serrou

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