lundi 24 février 2014

A Lyon, un sémillant Comte Ory de Rossini perturbé par un vent froid venu de Saxe

Lyon, Opéra national de Lyon, vendredi 21 février 2014

Gioacchino Rossini (1792-1868), le Comte Ory. Acte II. Dmitry Korchak (comte Ory), Désirée Rancatore (comtesse Adèle), Antoinette Dennefeld (Isolier). Photo : (c) Opéra national de Lyon, DR

Coïncidence singulière, trois heures avant le lever de rideau vendredi à l’Opéra de Lyon sur une nouvelle production mise en scène par un fidèle du lieu, Laurent Pelly, de l’un des opéras bouffes les plus désopilants de Gioacchino Rossini, le Comte Ory, le directeur du deuxième théâtre lyrique de France depuis 10 ans, le Belge Serge Dorny, apprenait par un communiqué de presse son éviction du Semperoper de Dresde qui l’avait pourtant nommé en fanfare Intendant voilà cinq mois. « Je n’ai pas pris au dépourvu la ministre de la Culture de Saxe, Mme von Schorlemer, remarquait Dorny vendredi. Dès le début, mon projet a été de mettre toutes les forces du Semperoper, orchestre, opéra, ballet sur un pied d’égalité pour un objectif commun, le service de la musique et du public. Contrairement à ce qu’affirme Mme Schorlemer, équipes techniques et artistiques partageaient mes vues et souhaitaient travailler ensemble avec la même force. Seul le directeur musical, Christian Thielemann, s’y opposait, la réputation de la Staatskapelle de Dresde donnant à ses yeux la primauté à l’orchestre sur tout le reste. Mes tentatives de rencontre avec la ministre et de discussion avec M. Thielemann sont restées lettre morte. Si bien que j’avais posé une date butoir : si le 26 février, rien n’avait été arrêté, je donnais ma démission. Les tutelles saxonnes ont préféré ne pas me donner de réponse et prendre les devants. » 

Serge Dorny. Photo : DR

Thielemann reste donc le seul maître à bord de l’un des théâtres lyriques les plus prestigieux au monde, ce qui rappelle la mésaventure d’Henri Maier dans une ville voisine, lorsque, peu après le renouvellement de son contrat à la direction de l’Opéra de Leipzig, le directeur musical italien de l’Orchestre du Gewandhaus, Riccardo Chailly, eut raison de lui avec l’appui des autorités qui venaient pourtant de rengager le Français. Quoi qu’il en soit, voilà assurément une excellente occasion, espérons-le, pour la ville de Lyon de garder l’un des plus brillants intendants d’Opéra d’Europe…

Gioacchino Rossini (1792-1868), le Comte Ory. Acte I. Photo : (c) Opéra national de Lyon, DR

Les démêlés du directeur de l’Opéra national de Lyon futur-ex-directeur de l’Opéra d’Etat de Dresde avec les autorités saxonnes n’ont pas empêché la première du Comte Ory de Rossini de se dérouler joyeusement, ce qui se passait sur le plateau ne prêtant en aucun cas à la morosité.

Affiche de l'Opéra national de Lyon

Composé en 1828, le Comte Ory est le premier opéra du « Cygne de Pesaro » directement écrit en français. Ce que l’on peut d’ailleurs regretter, le texte d’Eugène Scribe et Charles Delestre-Pirson étant insipide et grivois. Pourtant, sur un ton guilleret et énergique, Rossini entraîne vaillamment son public au cœur du moyen-âge dans le tourbillon des frasques d’un comte libertin, qui, au fil de deux actes agrégeant farce et lyrisme, tente vainement de séduire une vertueuse châtelaine dont l’époux est parti aux croisades. Pour parvenir à ses fins, il se déguise en ermite, s’introduisant ainsi sans encombre auprès de la belle. Démasqué, il se fait passer pour une nonne. Tant et si bien que l’ouvrage en devient un joyau d’humour primesautier, cet opéra bouffe conçu pour l’Opéra de Paris réutilise nombre d’airs du Voyage à Reims écrit en 1825 pour le couronnement de Charles X. Cette seconde mouture d’un ouvrage de circonstance est en fait la pénultième partition scénique de Rossini.

Gioacchino Rossini (1792-1868), le Comte Ory. Acte I. Dmitry Korchak (comte Ory), Désirée Rancatore (comtesse Adèle). Photo : (c) Opéra national de Lyon, DR

L’action qui ne cesse de rebondir donne à Rossini l’occasion de tirer parti du travestissement et de nombreuses scènes de genre, avec ensembles et finales menés tambour battant. Transposant l’action de nos jours, Laurent Pelly place le premier acte dans un gymnase où est organisée une kermesse au cours de laquelle le comte-ermite devenu fakir donne une conférence, tandis que le second acte se déroule dans la demeure de la comtesse entourée de ses dames de compagnie dont les appartements défilent sous les yeux du public, de la cuisine à la salle-de-bain de la comtesse en passant par son salon, sa salle-à-manger et sa chambre, où a lieu une nuit partie à trois dans le grand lit. Théâtre et chant se combinent délicieusement, et le spectateur a du mal à reprendre souffle. Les chanteurs s’en donnent à cœur joie. La distribution, qui s’avère excellente, est menée rondement par Dmitry Korchak, ténor de gracia souple et solide qui campe un comte intrépide, Désirée Rancatore, Adèle à la voix agile et inflexible jusque dans l’aigu le plus tendu, Antoinette Dennefeld entreprenant Isolier rival d’Ory qui a tout d’un Oktavian du Chevalier à la rose, et Jean-Sébastien Bou, magistral Rimbaud acolyte d’Ory. Seule faille de cet excellent spectacle, la direction de Stefano Montonari, au look de GI en marcel - n’aurait-il que le style vestimentaire à sa disposition pour affirmer sa personnalité ? - est brutale et raide,  alors que la musique de Rossini, la mise en scène et la scénographie de Pelly sont enivrement et sensualité.

Bruno Serrou

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire