dimanche 29 juin 2014

Florent Boffard dans ses œuvres

Festival ManiFeste, Ircam, Espace de projection, jeudi 26 juin 2014

Florent Boffard au Festival Messian au Pays de la Meije. Photo : (c) Colin Samuels

C’est en présence de Pierre Boulez, que je n’avais pas revu depuis tout juste un an, après que je l’ai l’interviewé à l’occasion de la parution du coffret DG consacré à l’intégralité de sa propre création (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/06/entretien-avec-pierre-boulez-le-coffret.html), et de George Benjamin, invité de Manifeste pour y donner des master classes de composition vocale, que Florent Boffard, ex-membre de l’Ensemble Intercontemporain, a présenté dans le cadre du Festival Présence de l’IRCAM, un récital enchâssant des œuvres pour piano de deux grands compositeurs contemporains nés en 1959-1960, l’Italien Marco Stroppa et le Britannique George Benjamin, mis en regard de deux phares de l’histoire de la musique, l’un du XVIIIe siècle, l’Allemand Jean-Sébastien Bach, le second du XXe, l’Autrichien Arnold Schönberg pour qui le premier fut l’un des référents.

Florent Boffard a étroitement imbriquées les pièces des deux maîtres du passé, alternant Inventions à trois voix n° 9 et 14 et mouvement lent de la quatrième Sonate en trio de Bach, que l’on n’a guère l’habitude d’entendre sonner en ce lieu, la dernière dans une transcription du pianiste, et les Cinq Pièces pour piano op. 23 dans lesquelles Schönberg exploite pleinement pour la première fois la série de douze sons dans la dernière d’entre elles, la Valse. Il a judicieusement enchaîné les pages de Bach et celles de Schönberg, démontrant ainsi la pérennité de la musique qui plutôt que de révolutions voire d’évolution est plutôt continuité et filiation, voire enrichissements d’une époque à une autre, dans un sens ou l’autre, sans rétrogradation, mais par une commune économie de moyens. Le pianiste a donné de ces pages une lecture cristalline et distanciée, détachée de tout affect et expressivité, ce qui est dommageable pour Schönberg dont les interprètes savent heureusement depuis une vingtaine d’années y mettre âme et sensibilité.

George Benjamin (né en 1960). Photo : DR

La seconde partie du récital était donc consacrée à des œuvres pour piano de deux de nos contemporains. La première, Shadowlines de George Benjamin (né en 1960), est une série de six préludes canoniques conçue en 2001 pour Pierre-Laurent Aimard. D’une durée totale de dix-sept minutes, ils sont d’une extrême sophistication d’écriture, chaque canon étant d’une nature différente et repoussant toujours davantage les limites du jeu pianistique, ce qui n’altère en rien une expressivité évanescente, de l’âpreté la plus féroce au lyrisme le plus ardent, Boffard passant de l’un à l’autre avec un naturel saisissant, après qu’il eut négligé de le faire dans Schönberg et Bach, tout en se jouant des difficultés de l’œuvre avec un panache à toute épreuve. 

Marco Stroppa (né en 1959). Photo : DR

La première pièce de Marco Stroppa (né en 1959), Innige cavatina (Cavatine intime) d’une dizaine de minutes apparient au recueil des Miniature estrose, premier livre pour piano d’amore composé en 1991-2001 et révisé en 2009. Puisée dans la mélodie de la cavatine du Quatuor à cordes n° 13 op. 130 de Beethoven, cette Innige cavatina de Stroppa explore jusqu’au plus secret du son. Pour ce faire, le pianiste, avant-même de commencer à jouer, enfonce sans émettre le moindre son certaines des touches du clavier afin qu’elles entrent par la suite en résonance avec les notes jouées, ce qui suscite un rendu sonore souvent inouï réalisé avec un nuancier d’une infinie douceur qui suscite une chatoyante alchimie sonore. Antérieure d’une dizaine d’années de la précédente, la seconde partition, Traiettoria (Trajectoire) de Stroppa fait appel à l’électronique à l’instar des deux autres pièces du triptyque Traiettoria… deviata, Dialogi, Contrasti (Trajectoire… déviée, Dialogues, Contrastes) dont elle constitue le premier volet composé en 1982 et 1984 et d’une durée de quarante-cinq minutes. Le compositeur considère cette première pièce de sept minutes créée à Venise en 1985 comme un mini concerto pour piano et orchestre, les sons de synthèse se substituant à ce dernier. Il est remarquable qu’à l’audition les sonorités acoustiques du piano et celles émanant des haut-parleurs se fondent au point qu’elles deviennent inidentifiables les unes des autres, d’autant plus que l’une des enceintes est placée sous le piano plongé dans la pénombre.

Pour conclure et en rester au domaine des phénomènes acoustique, Florent Boffard a demandé à la régie de l’IRCAM assurant le suivi de ce récital présenté dans l’Espace de projection, de modifier la position des volets acoustiques des parois de la salle pour en élargir le ton de réponse de la résonance avant d’interpréter l’une des Six petites pièces pour piano op. 19 de Schönberg avec un plaisir non feint et une malice non dissimulée, saluant ainsi un public extrêmement concentré et nombreux sous forme de pirouette. 


Bruno Serrou

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