mardi 29 juillet 2014

Le Festival de La Roque d’Anthéron et les étoiles du Nord

XXXIVe Festival international de piano de La Roque d’Anthéron, Parc du Château de Florans, Samedi 26, dimanche 27 et lundi 28 juillet 2014

Répétition du concert de Leif Ove Andsnes avec l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo dirigé par Kazuki Yamada. Photo : (c) Bruno Serrou

Le Festival de La Roque d’Anthéron est au piano ce qu’est le Festival d’Aix-en-Provence à l’art lyrique : le Grand rendez-vous de l’instrument-roi qui en fait une manifestation estivale sans équivalent dans le monde. Le piano sous toutes ses formes et dans tous ses états, c’est ce que le mélomane peut percevoir en enchaînant les concerts et les récitals, surtout le week-end, où en quelques heures il est possible d’enchaîner un programme piano et percussion avec deux des coqueluches du festival, les Français Bertrand Chamayou et Jean-Frédéric Neuburger, par ailleurs excellent compositeur, concertant avec l’Ensemble AdONF - intitulé qui en dit long sur la volonté ludique de ses membres - constitué de percussionnistes de l’Orchestre National de France dans un programme associant des œuvres téméraires dans un tel cadre de Giacinto Scelsi, Edgar Varèse et George Antheil, et des pages de compositeurs plus grand public de George Gershwin et Serge Rachmaninov exécuté sur le grand plateau du Parc de Florans à l’horaire rituel du grand concert du jour alors que le soleil descend sur les séquoias et platanes où le chant des cigales s’éteint. Le lendemain, même lieu mais un peu plus tôt dans l’après-midi, un ensemble de jazz, le Quatuor Mikado qui se produisait pour la première fois au festival, constitué du pianiste compositeur Paul Lay entouré du saxophoniste Antonin Tri Hoang, du contrebassiste Clemens van der Feen et du batteur Dré Pallemaerts, interrompu par la pluie, alors que le récital du jeune pianiste canadien Jan Lisiecki qui suivait était purement e simplement annulé, tandis qu’à quelques encablures, celui de sa consœur française Marie-Josèphe Jude se déroulait sereinement sous le ciel du Théâtre des Terrasses de Gordes…

Quand le Festival de piano de La Roque d'Anthéron commence à adopter l'atmosphère du Festival de Glyndebourne et ses piques-niques. Photo : (c) Bruno Serrou

Autre domaine où le piano est roi, celui de la musique de chambre. A Saint-Martin-de-Crau, sur les berges de l’Etang des Aulnes, où Jean-Frédéric Neuburger était le ciment d’une formation de chambre associant Augustin Dumay et le Quatuor Modigliani, tout fraîchement descendu des rives du lac Léman au terme de sa première édition des Rencontres musicales d’Evian dont il assurme désormais la direction artistique.  Au programme, le beau Concert en ré majeur op. 21 d’Ernest Chausson… Mais, ce même jour, à deux heures d’intervalle, deux concerts de choix étaient proposés à cent minutes de route aller-retour, obligeant les amateurs des deux programmes à une course effrénée s’il tenait à enchaîner les deux rendez-vous, les obligeant soit à l’excès de vitesse soit à rater la première partie du second concert…

Nikolaï Lugansky. Photo : (c) Florian Burger

Samedi 26 juillet

… Retour aux fondamentaux du Festival avec un récital de piano. Malgré son indubitable notoriété, Nicolaï Lugansky est de ces pianistes qui me laissent dubitatifs. Si bien que, contrairement à ce qu’affirme le programme de salle du festival, il est loin à mes oreilles d’être incontournable, si du moins il se trouve dans l’univers quelque élément qui le soit, puisque même le Mont-Blanc l’est à travers plaines, vallées et monts. Mais à La Roque d’Anthéron, il est évident dès l’abord que le public lui est tout acquis. L’élégant pianiste russe n’a certes pas fait salle comble mais il a su séduire un auditoire concentré et confiant dans un programme belgo-russe de grand piano romantique. Lugansky a ouvert son programme sur le triptyque de César Franck Prélude, Choral et Fugue de forme cyclique chère au compositeur belge dans la lignée de Richard Wagner. Mais c’est la seule concession de cette œuvre à la modernité d’alors, la trilogie se référant dans le fond au style classique en général et à Jean-Sébastien Bach en particulier, faisant un retour au Prélude et Fugue du Cantor auquel il ajoute en guise d’interlude un choral, autre renvoi à Bach. L’interprétation qu’en a donnée Nikolaï Lugansky, propre et distanciée, a mis en évidence le dicton peu favorable au fondateur de la Schola Cantorum qui prétend qu’il vaut mieux avoir l’âge de ses artères (César ter) que l’âge de César Franck… Sonate pour piano parmi les moins courues de Serge Prokofiev, la Quatrième en ut mineur op. 29 est l’une des plus sombres et retenues du compositeur russe, mais elle se conclut dans l’onirisme et l’allégresse empreinte d’humour. Jouant le corps rectiligne mettant en évidence le geste sans artifice d’où il émane une digitalité miraculeuse les doigts courant avec une surprenante vélocité considérant la mobilité réduite des bras et la tenue rigide de la silhouette du pianiste, qui semble regarder en spectateur ses doigts courir sur le clavier, Lugansky impose sa vision objective dans les deux mouvements initiaux qui peuvent pourtant inciter à un excès de pathos, mais s’avère malheureusement trop distant dans le finale, défait de ses dimensions lyrique et espiègle. En revanche, l’épure plus ou moins relative des Treize Préludes op. 32 de Serge Rachmaninov a été fort bien servie par le côté apollinien du jeu, décontracté et économe, de Lugansky, dont la distanciation affecte tensions, élans et mélancolie de la pensée de Rachmaninov pour mieux en souligner la rigueur et la virtuosité naturelle.

Vadim Repin (violon), Alexander Kniazev (violoncelle), Nikolaï Lugansky (piano), Kazuki Yamada et l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo. Photo : (c) Florian Burger

Dimanche 27 juillet

Affiche prestigieuse que celle du concert de dimanche soir, Parc du Château de Florent qui placardait complet, avec rien moins que trois des plus grands instrumentistes russe actuels, le violoniste Vadim Repin, le violoncelliste (également organiste) Alexander Kniazev et le pianiste Nikolaï Lugansky, entendu la veille en récital, pour le Triple concerto en ut majeur op. 56 de Beethoven. Entendu en août 2011 dans le cadre des trente ans du Festival de La Roque d’Anthéron dans la cour du Château de Mimet interprété par un trio français constitué, Le Trio Wanderer dialoguant avec le Sinfonia Varsovia dirigé par Francesco Angelico, le « Triple » de Beethoven était confié cette fois à un trio de stars russes, renvoyant à l’un des enregistrements les plus fameux et contestables de l’histoire du disque qui réunissait dans cette même partition David Oïstrakh, Mstislav Rostropovitch et Sviatoslav Richter autour d’Herbert von Karajan et de l’Orchestre Philharmonique de Berlin. Difficile de ne pas songer à cette version qui a tant fait de mal à cette œuvre que le Beaux-Arts Trio avait en revanche magnifié notamment sous la direction de Bernard Haitink avec l’Orchestre Philharmonique de Londres. Cette fois, loin de toute conception chambriste mais aussi de toute tentation d’un combat de solistes, sous la direction il est vrai attentive et lyrique du jeune chef japonais Kazuki Yamada, vainqueur du Concours de Besançon 2009 et protégé de Seiji Ozawa, dirigeant un Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo en très grande forme, aucun des solistes n’a cherché à tirer la couverture à lui, engageant au contraire un trilogue à quatre des plus chatoyant, dont le point névralgique était assuré par le violoncelle fruité, ample et bouillonnant d’Alexander Kniazev, qui catapultait littéralement ses deux partenaires malgré eux vers des sommets d’intensité, le violon de Vadim Repin aux sonorités chaudes mais manquant étonnamment de carnation et attaquant souvent la corde sous la note, et le piano de Nikolaï Lugansky par trop cristallin et peu sensuel, réussissant à transcender leur pudeur grâce à la puissante personnalité de leur compatriote violoncelliste. En première partie du concert, deux œuvres pour orchestre de Claude Debussy, Prélude à l’après-midi d’un faune et La Mer, que Kazuki Yamada a dirigées avec une densité, une précision et un sens de la nuance qui montrent que nous avons affaire à un futur grand du podium, déjà en pleine possession de son art. L’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo s’est d’ailleurs donné volontiers à la moindre intention d’un chef qu’ils apprécient de toute évidence, ce que confirme le fait qu’il vient d’être nommé Premier Chef invité de la phalange monégasque, qui, sous son impulsion, pourrait retrouver sa faconde qu’il avait atteinte sous l’impulsion du chef russe Yakov Kreizberg, mort prématurément en 2011 alors qu’il en était directeur musical.

Kazuki Yamada, Leif Ove Andsnes et l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo. Photo : (c) Florian Burger

Lundi 28 juillet

Mais la grande soirée qui attendait le public, venu presque aussi nombreux que la veille malgré les menaces de pluie, était celle de lundi, avec l’éblouissant Leif Ove Andsnes dans le plus grand concerto pour piano de Beethoven, le Troisième en ut mineur op. 37. Magicien du son au jeu aussi limpide qu’efficace, l’immense pianiste norvégien a offert du chef-d’œuvre une interprétation à la fois élégante, puissante et extraordinairement sensible. Silhouette élancée, se tenant relativement loin du clavier tandis que les doigts courent l’air de rien sur les touches qu’ils frôlent plutôt qu’ils les touchent, la perfection de la technique étant au service d’une interprétation épique et pénétrante, qui saisit l’auditeur pour le transporter dans l’inouï. Semblant loin l’un de l’autre durant le filage de l’après-midi, le pianiste norvégien et le chef japonais Kazuki Yamada ont réussi à fusionner leur conception de l’œuvre, l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo s’imposant en effet davantage comme un partenaire que comme accompagnateur, participant avec le soliste à une commune interprétation transcendante. Le visage austère et le corps rigide, Andsnes a néanmoins largement répondu à la demande du public qui l’appelait bruyamment à lui offrir un bis, en interprétant un Allegro final de feu de la Sonate pour piano n° 23 en fa mineur op. 57 « Appassionata » de Beethoven quasi contemporaine du Concerto n° 3 d’où il a été difficile de s’extraire. En seconde partie de programme, l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo a imposé son homogénéité et la brillante personnalité de ses pupitres solistes dans la lumineuse et sereine Symphonie n° 8 en sol majeur op. 88 d’Antonín Dvořák dirigé avec élan par Kazuki Yamada, malgré les intermèdes de pluie qui ont légèrement arrosé le parc de Florans durant l’exécution de l’œuvre, le chef interrogeant le public sur son confort d’écoute tandis que le maire de La Roque d’Anthéron participait avec les bénévoles à la distribution d’imperméables…

Parmi les prochains concerts, noter celui du 3 août à 21h au Parc du Château de Florans par Marc-André Hamelin qui dirigera du piano le Kremerata Baltica dans un programme Joseph Haydn.

Bruno Serrou

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