samedi 23 août 2014

François-Xavier Roth et Les Siècles donnent une nouvelle chance au Christophe Colomb de Félicien David recréé au Festival Berlioz

Festival Berlioz, La Côte-Saint-André, Cour du Château Louis XI, vendredi 22 août 2014


Consacré à Hector Berlioz, le Festival de La Côte-Saint-André s’attache tout autant à ses contemporains. D’autant plus lorsqu’il s’agit de compositeurs qu’il a admirés et défendus, notamment dans ses nombreux écrits. En plus, l’édition 2014 étant consacrée à « Berlioz et l’Amérique », une œuvre dont le héros est le découvreur du Nouveau Monde, avait de quoi séduire. Ainsi en est-il de Félicien David, de sept ans le cadet de Berlioz.

Félicien David (1810-1876)

Oublié depuis plus d’un siècle, Félicien David (1810-1876) renaît tel le zénith peu à peu de ses cendres depuis la redécouverte de l’« ode-symphonie » le Désert et de son opéra la Captive. Grâce notamment à la Fondation du Palazzetto Bru Zane, institution culturelle privée française installée dans l’un des plus beaux palais de Venise, partenaire du Festival Berlioz pour des coproductions liées au compositeur français participant ainsi activement à chaque édition de la manifestation depuis la première édition de Bruno Messina à la tête de cette dernière en 2009.

Christophe Colomb (1451-1506)

Comme toutes les (re)découvertes faites sous l’égide de la fondation, celles proposées en collaboration avec La Côte-Saint-André réunit des équipes artistiques d’un haut degré d’exigence. Ainsi, cet été, c’est François-Xavier Roth et son Orchestre Les Siècles, avec la participation du Chœur de la Radio Flamande, qui se sont vu confier la résurrection d’une deuxième « ode-symphonie » de Félicien David, cette fois en quatre parties au lieu de trois pour le Désert, Christophe Colomb ou la découverte du Nouveau Monde créé le 7 mars 1847 au Conservatoire de Paris. Le livret de MM. Méry, Ch. Chaubet et Sylvain Saint-Étienne romance la découverte de l’Amérique, non par la conquête mais par le voyage, non-pas par la confrontation mais par la rencontre. Le titre des parties annonce leur contenu : le Départ (le départ conquérant depuis les côtes d’Espagne vers les terres promises), une Nuit des tropiques (le navire des découvreurs reste bloqué par l’immobilité du vent dans une mer d’huile), la Révolte (les compagnons du navigateur se retournent contre lui désespérés d’être bloqués au milieu de l’océan faute de vent) et le Nouveau Monde, qui conte l’arrivée et la rencontre des colons et des autochtones qui se font dans l’apaisement et la paix et qui se conclut sur une danse des sauvages qui n’a rien de ramiste... Cette œuvre de quatre vingt dix minutes en quatre sections reliées par des interludes et par les mises en situation confiées à un récitant et précédées d’une ouverture, est à la fois marquée par son époque, de Gluck à Weber (Oberon) et Berlioz, et porteuse de germes annonciateurs notamment de Wagner (le Vaisseau fantôme), de Massenet et de Bruckner (l’ouverture).

François-Xavier Roth. Photo : (c) Delphine Warin

Pourtant, le matériel d’orchestre de cette œuvre écrite par l’un des musiciens français les plus admirés en son temps a dû être reconstitué dans la perspective du concert d’hier et de la tournée qui va suivre (1). Cela sous l’égide d’un musicologue allemand, Gunther Braam, qui a réalisé la partition de Christophe Colomb avec des lycéens dont il est le professeur de musique à Munich qui ont fait la gravure des parties d’orchestre ainsi que du conducteur et de la réduction piano. Cette ode-symphonie requiert en effet quatre solistes (basse, soprano, ténor, récitant), un chœur mixte (douze femmes, seize hommes) et un orchestre (deux flûtes (la seconde aussi piccolo), deux hautbois (le second aussi cor anglais), deux clarinettes, deux bassons, quatre cors, deux trompettes, deux cornets à pistons, trois trombones, tuba, harpe, deux percussionnistes, trois timbales, dix premiers violons, huit seconds, six altos et violoncelles, quatre contrebasses). Les Siècles la jouent naturellement sur instruments d’époque, utilisant les seuls cors naturels, un ophicléide à la place du tuba, des flûtes traversières en ébène et des bassons français, trois petites timbales avec peau naturelle, mais les violoncelles sont avec pique.

Félicien David (1810-1876), Christophe Colomb en version concert au Festival Berlioz, La Côte-Saint-André. Photo : (c) Bruno Serrou

La distribution fait la part belle au chœur d’hommes et à la voix de basse, qui incarne le rôle-titre de Christophe Colomb, tandis que le ténor n’intervient que dans la première partie, essentiellement dans un long duo avec la soprano, qui ne réapparaît que vers la fin du quatrième volet. Bien que cette partition n’ait rien de transcendant, elle n’en est pas pour autant indigne, bien au contraire. L’on ne s’ennuie pas une minute, le flux musical continu, l’orchestration colorée et l’écriture chorale aux élans opératiques sollicitent continuellement l’attention et ménage régulièrement la surprise. Christophe Colomb est en cela supérieur au Désert, et seule la danse des sauvages finale déçoit, si l’on considère celle de la dernière entrée de l’opéra-ballet les Indes galantes que Jean-Philippe Rameau donna en création à en 1735. Le quatuor des solistes a amplement participé à la réussite de la soirée, avec un luxueux récitant, Denis Podalydès, qui n’a pas eu à forcer sa nature dans les brèves interventions qui lui sont dévolues, Julien Behr a assuré avec allant la courte partie que le compositeur a attribuée au ténor, Karen Vourc’h a déployé sa voix moelleuse et charnelle dans les deux grands moments que lui réserve la partition, son timbre se fondant à la perfection à celui du ténor dans le duo Fernand/Elvire de la première partie, tandis que le baryton-basse autrichien Josef Wagner a campé un noble et solide Christophe Colomb. 


Josef Wagner (Christophe Colomb). Photo : (c) Delphine Warin

Mais c’est le Chœur de la Radio Flamande qui s’est avéré le deus ex machina de cette exécution de l'« ode-symphonie », campant tour à tour la foule des Espagnols encourageant les navigateurs, l’équipage de Colomb et les Sauvages. Se donnant sans restriction, l’ensemble vocal belge a imposé son extrême homogénéité, sa somptueuse vocalité doublé d'un réel sens dramatique. Les Siècles ont fait un sans-faute, donnant vie, avec allant et onirisme à cette partition méconnue mais édifiante que leur directeur musical-fondateur apprécie de toute évidence, au point de lui donner par son engagement et sa conviction toutes ses chances sinon pour s’imposer au moins pour attirer l’attention de plus d’un mélomane, même les plus récalcitrants - dont j’étais.

Bruno Serrou

1) Christophe Colomb de Félicien David est repris par les mêmes interprètes dans le cadre d'une tournée qui les conduira entre autres à l'Opéra Royal de Versailles le 13 décembre 2014. Le Festival Berlioz continue jusqu'au 31 août. www.festivalberlioz.com



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