lundi 25 août 2014

Pour ses 70 ans, Vladimir Spivakov a donné à Annecy un concert éblouissant avec ses Virtuoses de Moscou, après une présentationconvaincante du travail de Patrick Marco avec l’Académie choraleréunissant professionnels et amateurs

Annecy. Ve Annecy Classic Festival, Eglise Sainte-Bernadette, dimanche 24 août 2014

Annecy. Photo : (c) Bruno Serrou

Pour la seconde journée de l'unique week-end de la décade de l’Annecy Classic Festival, les concerts se sont bousculés avec deux concerts aux programmes copieux séparés par un interstice de moins de deux heures dans l’enceinte de l’église Sainte-Bernadette, centre névralgique de la manifestation depuis le lancement de sa nouvelle formule en août 2010.

Annecy Classic Festival. Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg, Les Cris de Paris et Chœur d'Annecy Classic Festival. Photo : (c) Yannick Perrin
Concert de musique spirituelle de l’Académie Vocale et de l’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg

Conformément à la tradition, dimanche oblige, c’est sur un concert de musique chorale d’inspiration religieuse dirigé par Patrick Marco qui a attiré un auditoire fourni dans l’enceinte de l’église Sainte-Bernadette. Directeur du Conservatoire de Puteaux, Chef du Chœur de l'Orchestre Lamoureux et de la Maîtrise de Paris, ensemble vocal mixte d’enfants qui compte aujourd’hui près de cent vingt chanteurs attaché au Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris et qui se produit dans les grandes institutions musicales parisiennes, notamment à l’Opéra de Paris et Salle Pleyel avec divers orchestres (on a notamment pu l’entendre dans la Symphonie n° 3 de Mahler avec le San Francisco Symphony Orchestra dirigé par Michael Tilson Thomas), Patrick Marco anime chaque année à Annecy un Atelier vocal qui réunit autour de sa maîtrise et d’un chœur professionnel, cette année Les Cris de Paris que son directeur fondateur Geoffroy Jourdain a confié à Marco le temps de ce campus, une centaine d’amateurs rassemblés sous le label Chœur d’Annecy Classic Festival. Au programme de la session 2014, trois extraits des Vêpres solennelles d’un confesseur KV. 339 et la Messe du Couronnement en ut majeur KV. 317, deux œuvres de Mozart conçues en 1779 que Marco allait faire exécuter avec le luxueux Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg.

Jiwon Song (baryton) et Julien Vanhoutte. Photo : (c) Yannick Perrin

Mais pour la première partie de ce concert, c’est un autre chef, Julien Vanhoutte, qui s’est vu confier la création d’une pièce déjà ancienne de Richard Dubugnon (né en 1968). Bien que le compositeur-contrebassiste franco-suisse ait officiellement répondu à une commande du festival, l’Adoration de la Croix op. 9 a été conçue voilà plus de vingt ans. Cette pièce illustre des textes grecs et latins utilisés depuis le XIIe siècle le Vendredi-Saint et fait appel à un effectif peu usité constitué d’un célébrant-baryton, d’un chœur mixte, d’un chœur d’enfants, d’un quintette de cuivres (cor, deux trompettes, trombone, tuba), de timbales et d’un orgue. D’aucuns se souviennent de la création Salle Pleyel en décembre 2008 par l’Orchestre de Paris dirigé par Esa-Pekka Salonen avec Janine Jansen en soliste devant un Henri Dutilleux consterné d’un Concerto pour violon op. 45 de Dubugnon pour le moins convenu et fleurant la naphtaline. Composée en 1993-1994, révisée par deux fois, en 1997 et 2007, cette partition est légèrement plus téméraire que le concerto de quatorze ans son cadet, du moins par ce que j’ai pu en juger assis au premier rang non loin des pavillons du bataillon des cuivres et d’un orgue qui me cachaient les effectifs choraux placés le long du mur du fond du chœur de l’église. Cette page d’une vingtaine de minutes a mis mes oreilles en capilotade au point de déclencher des acouphènes qui perdurent vingt-quatre heures après. L’exécution, qui a réuni un solide baryton, le bien nommé Jiwon Song, un ensemble de cuivres de l’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg, la Maîtrise de Paris et les Cris de Paris, a été précédée d’une présentation de la pièce par son auteur sans une once d’humilité (« … vous entendrez ensuite un très joli passage… ») et dirigé de la même façon par Julien Vanhoutte, ne laissant aucun autre souvenir que les troubles auditifs suscités par la proximité des cuivres qui a ruiné un long moment mes capacités auditives.

 Patrick Marco. Photo : DR

Sous la direction fougueuse et volontaire de Patrick Marco, les deux œuvres de Mozart se sont déployées de façon énergique, sonnant large mais placé comme je l’étais, je n’ai pu goûter l’exécution dans sa pleine mesure, collé que j’étais aux six seconds violons et, à leur droite, aux six altos ainsi qu’à l’orgue, alors que les effectifs choraux, qui ont associé amateurs de l’Académie et professionnels de la Maîtrise de Paris et des Cris de Paris, étaient trop loin de l’orchestre, le long du mur du fond. Ce qui est regrettable, car Mozart était servi par un orchestre de tout premier plan et un ensemble choral d’une incontestable cohésion, tandis que le quatuor vocal solistes constitué de Suzanne Jérosme (soprano), Anne Reinhold (mezzo-soprano), Jean-François Novelli (ténor) et Sevag Tachdjian (basse) s’est montré cohérant avec ses voix jeunes et encore peu puissantes mais en phase avec l’humilité spirituelle de ces deux œuvres d’un Mozart de vingt-trois ans.

Annecy Classic Festival. Vladimir Spivakov et Les Solistes de Moscou. Photo : (c) Yannick Perrin

Vladimir Spivakov, les Solistes de Moscou, Anastasia Kobekina et Denis Matsuev

Quatre vingt dix minutes après la fin du concert Mozart/Dubugnon, Vladimir Spivakov à la tête de ses Virtuoses de Moscou offrait pour son soixante-dixième anniversaire un concert d’une très haute tenue, qui dit combien ce musicien russe qui s’imposa tout d’abord comme un grand violoniste, est devenu un excellent chef d’orchestre. Tout en poursuivant une carrière de soliste et de chambriste dans le monde entier (il prépare une tournée automnale aux Etats-Unis), et en animant le Festival international de musique de Colmar depuis 1989, il se produit toujours davantage en tant que chef, non seulement avec Les Virtuoses de Moscou qu’il a fondés en 1979 avec ses amis solistes, lauréats de concours internationaux et premiers pupitres des grands orchestres russes dont les effectifs se sont considérablement renouvelés en trente-cinq ans, mais aussi avec le National Philharmonique de Russie qu’il a créé en 2003.  

Annecy Classic Festival. Denis Matsuev et Vladimir Spivakov. Photo : (c) Yannick Perrin

Le geste précis mais jamais agité, il fait corps avec son orchestre dont le nom n’est pas usurpé, tant tous les musiciens s’avèrent d’indubitables virtuoses. La Sérénade pour cordes en ut majeur op. 48 de Tchaïkovski a séduit par son interprétation conquérante et déliée, enlevée et objective, jouée sans traîner et sans pathos, les Virtuoses de Moscou exaltant des sonorités charnues et lumineuses, donnant à cette partition d’essence classique un tour subtilement classique, qui a judicieusement préludé aux deux œuvres qui la suivaient. Tout d’abord le Concerto n° 17 pour piano et orchestre en sol majeur KV. 453 (1784) de Mozart, avec en soliste Denis Matsuev. Préparant l’entrée du soliste sur un tapis de cordes voluptueuses, Vladimir Spivakov a réussi à canaliser l’écoute et la puissance de son compatriote, qui a fait chanter son piano avec délectation et bonhomie, respectant les couleurs et la légèreté fruitée et lumineuse des textures et la chaleur de ton de Mozart, faisant chanter l’Andante central avec générosité et allant, comme s’il s’agissait d’une aria d’opéra. Mais emporté par l’élan du finale, Denis Matsuev a eu tendance à jouer de plus en plus fort et sec, ne laissant pas l’œuvre bondir et respirer jusqu’à la fin de l’œuvre, incitant Spivakov et les Virtuoses de Moscou à rivaliser avec lui, au point de conclure en une course frénétique. A l’issue de cette exécution conclue sur un tour haletant, le pianiste russe a offert un bis délectable, une Valse de Jean Sibelius qui dit combien Matsuev peut quand il le veut - conformément à ce qu’il a démontré dans les deux premiers mouvements du concerto de Mozart - jouer tout en retenue et délicatesse.

Annecy Classic Festival. Anastasia Kobekina (violoncelle) et Vladimir Spivakov. Photo : (c) Yannick Perrin

C’est avec le célébrissime Concerto n° 1 pour violoncelle et orchestre en ut majeur Hob. VIIb.1 (1762) de Joseph Haydn que Spivakov a ouvert la seconde partie de son concert-anniversaire. En soliste, sa jeune protégée Anastasia Kobekina. Née le 26 août 1994, la violoncelliste russe a été remarquée à six ans par Vladimir Spivakov, qui, après l’avoir auditionnée, l’a fait entrer au sein de sa Fondation pédagogique et lui a offert voilà quatre ans l’instrument italien sur lequel elle joue, un Stefano Scarampella fabriqué au XIXe siècle. Jouant avec une aisance confondante, une technique de la main gauche rigoureuse, l’archet souple mais ferme, elle exalte des sonorités charnues qui ne demandent qu’à s’élargir avec le temps, Kobekina est une jeune artiste russe pour le moins prometteuse dont on pourrait rapidement entendre parler parmi les grands violoncellistes. Vladimir Spivakov a forgé pour sa protégée une étoffe délicate et soyeuse avec ses Virtuoses de Moscou qui ont dialogué avec allant avec la soliste. Le chef russe a conclu la soirée sur deux pages pour octuor de cordes de Dimitri Chostakovitch réunies sur l’intitulé générique Prélude et Scherzo op. 11 composées en 1925-1926, donc contemporaines de la Première Symphonie, et créées à Moscou le 9 janvier 1929 par les Quatuors Glière et Stradivarius. Ces pages comptent parmi les plus inventives du compositeur russe, dont la créativité n’avait pas encore été muselée par les sbires staliniens, l’URSS étant encore ouverte à l’époque à l’avant-garde occidentale. Ainsi y trouve-t-on l’esprit d’un Hindemith et d’un Krenek, l’atonalité et le machinisme. Si le Prélude s’inscrit dans la tonalité, renvoyant au XVIIIe siècle, le Scherzo tend à l’atonalité et s’avère plus incisif. Vladimir Spivakov et les Virtuoses de Moscou en ont donné une version plus étoffée, avec vingt-quatre cordes (7-7-4-4-2), mais l’a souplesse des archets et la dextérité des doigts courant sur les touches ont donné la même impression de fluidité et de transparence que l’octuor originel, tout en donnant plus de profondeur de champ. 

Annecy Classic Festival. Vladimir Spivakov et Les Solistes de Moscou. Photo : (c) Bruno Serrou

Après ces deux pages d’une durée totale ne dépassant guère les onze minutes, Vladimir Spivakov a donné trois bis. Les deux premiers de Chostakovitch, un très court Praeludium suivi d’une Polka qui en dit long sur les aptitudes à l’humour et à la dérision de son auteur, dans laquelle le premier contrebassiste des Virtuose de Moscou, Grigory Kovalesky, s’est montré aussi véloce qu’heureux, allant jusqu’à danser comme s’il était seul au monde, transcendé par le dernier bis, un Hyper Tango d’Astor Piazzolla qui a donné un tour jovial au final du concert.

Ce second concert de dimanche a été retransmis en direct sur Medici.tv, qui en propose le streaming pendant les trois mois qui viennent (www.medici.tv/#!/annecy-classic-festival).


Bruno Serrou

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire