jeudi 19 février 2015

"The Beethoven Journey" de Leif Ove Andsnes et du Mahler Chamber Orchestra a conquis le Théâtre des Champs-Elysées

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, mardi 17 février 2015

Leif Ove Andsnes et le Mahler Chamber Orchestra. Photo : DR

Voilà quatre ans Leif Ove Andsnes se lançait sur les routes du monde avec le Mahler Chamber Orchestra (MCO) et les cinq concertos pour piano de Beethoven (1). Une odyssée qui les aura conduits dans cent huit villes de vingt-sept pays où le pianiste norvégien et ses compagnons ont parallèlement fait découvrir la musique à des enfants sourds.

Le « Voyage Beethoven » (The Beethoven Journey) de Leif Ove Andsnes est passé cette semaine par le Théâtre des Champs-Elysées à Paris. Le pianiste norvégien s’est longtemps tenu éloigné de Beethoven, et il n’est pas adepte des intégrales. La littérature pianistique est si vaste qu’il préfère puiser dans un répertoire plus ou moins couru mais qui lui « parle ». « Pourtant, dit-il, avec le temps, je me suis convaincu d’avoir des choses à dire avec l’une des plus grandes musiques qui soient. » D’autant plus que, Andsnes et le Mahler Chamber Orchestra, formation de musiciens d’élite indépendants qu’il dirige du clavier, proposent autour de leur intégrale des concertos pour piano du Titan de Bonn des actions pédagogiques à destination de jeunes malentendants. « Beethoven, qui a très vite été atteint de surdité, avait une foi naïve en la valeur de la musique pour l’humanité, remarque Andsnes. Il pensait changer le monde avec son art. Cela me touche profondément, et c’est l’esprit qui anime ce projet. » 

Ludwig van Beethoven et Leif Ove Andsnes. Photo : (c) Leif Ove Andsnes

Né à Karmøy le 7 avril 1970 de parents musiciens, Leif Ove Andsnes a commencé le piano à quatre ans et présenté son premier récital à onze, à Bergen, où il est élève du Conservatoire. Il donne son premier concert professionnel en 1986 avec l’Orchestre Philharmonique d’Oslo dirigé par Mariss Jansons, qui devient son mentor. Aujourd’hui, père de trois enfants qu’il chérit plus que la musique, qui lui est pourtant vitale, il aime s’occuper de jeunes handicapés à qui il fait découvrir son art, y compris à ceux qui, a priori, peuvent le moins s’y immerger, les malentendants. Et l’œuvre pour piano et orchestre du plus fameux des compositeurs sourds est à la fois le support idéal un pied de nez à la fatalité de cette invalidité. Ainsi, dans chaque ville où il présente avec le MCO le « Voyage Beethoven », des enfants se pressent autour des musiciens, touchent contrebasses et violons des pupitres des cordes, s’assoient sous le Steinway d’Andsnes et posent leurs mains sur la table d’harmonie qui vibre tandis qu’il joue. « Il est passionnant, dit le pianiste, de voir ces jeunes sourds à côté des musiciens et qui discernent l’on ne sait comment la musique résonner dans leur corps plus que chez les entendants. Ils voient ainsi comment les musiciens communiquent entre eux sans se parler, ce qui va leur servir dans la vie courante, puis ils assistent au concert à leurs côtés. »

Leif Ove Andsnes faisant découvrir la musique à des enfants malentendants. Photo : (c) Leif Ove Andsnes

Ce long compagnonnage avec Beethoven a conduit Andsnes à renoncer un temps à Franz Schubert. Il se sent aussi proche d’Eduard Grieg, dont il est aujourd’hui considéré comme l’interprète référant, compositeur intimement Norvégien malgré ses influences germano-debussystes. « Sa musique est emplie du folklore de mon pays, s’enthousiasme Andsnes. Je l’ai beaucoup jouée et je vais y revenir. En revanche, n’ayant pas travaillé Bach enfant, et je n’y toucherai pas, car pour le jouer il faut impérativement que les doigts le possède de façon instinctive. » Parmi ses projets, une intégrale Sibelius, « compositeur majeur trop mésestimé ». « Comme Grieg, dit Andsnes, il est marqué par la musique populaire et ses miniatures sont d’une sensibilité, d’une profondeur insoupçonnée. »

Leif Ove Andsnes dirigeant du piano l'enregistrement du Concerto n° 5 "l'Empereur" de Beethoven avec le Mahler Chamber Orchestra. Photo : (c) Sony Classical / Leif Ove Andsnes

La première des deux soirées du « Voyage Beethoven » à travers les cinq concertos pour clavier proposées cette semaine au Théâtre des Champs-Elysées a réunis les Concertos pour piano et orchestre numéro deux, trois et quatre exécutés dans l’ordre chronologique, seule façon de percevoir grandeur nature l’évolution du compositeur au sein de la forme concertante. Le Concerto n° 2 en si bémol majeur op. 19 est en fait la première partition du genre conçue par Beethoven qui en donna lui-même la création au clavier le 29 mars 1795 à l’occasion de sa première prestation publique viennoise. L’œuvre sera remaniée une première fois en 1798, avant une ultime rédaction de la partie soliste en 1801, soit trois ans après l’achèvement du Concerto n° 1 en ut majeur op. 15 publié en même temps que lui, tandis que Beethoven travaille déjà sur son troisième concerto. Tout cela explique le fait que le Concerto n° 2 en si bémol majeur op. 19 soit le moins accompli de tous et que son développement semble encore hésitant. Néanmoins, l’on y trouve une vivacité, une fraîcheur expressive qui ne laissent pas indifférent. Mû par un élan naturel et un sens des contrastes particulièrement raffiné qui lui permet d’instiller sa propre conception de l’œuvre à l’orchestre entier qui connaît avec le temps la moindre de ses intentions, Andsnes en a donné une interprétation toute de fraîcheur et de spontanéité, ménageant des plages de lyrisme intense et de sensibilité bouillonnante.

Composé entre 1800 et 1802, créé à Vienne le 5 avril 1803, dédié l’année suivante au prince Louis-Ferdinand de Prusse, le Concerto n° 3 pour piano et orchestre en ut mineur op. 37 de Beethoven compte parmi les chefs-d’œuvre les plus remarquables de la littérature concertante pour piano. Beethoven atteint en effet un l’équilibre parfait entre le soliste et l’orchestre qu’il traite tels des partenaires. Un véritable dialogue s’instaure d’ailleurs dans le vaste développement de l’Allegro con brio initial, où le piano acquiert une totale indépendance et une virtuosité singulière dans son propre champ expressif, avec pour point d’orgue les sublimes accords en creux qui ouvrent la coda conclusive. Toute de lumière et d’intensité, l’interprétation d’Andsnes subjugue par son évidence, sa force juvénile mêlée de tendresse et de ferveur, le pianiste fondant son chant étincelant à celui tout aussi ardent et charnel du Mahler Chamber Orchestra.



C’est avec le Concerto n° 4 pour piano et orchestre en sol majeur op. 58 que Leif Ove Andsnes et le Mahler Chamber Orchestra ont conclu leur première soirée parisienne de l’intégrale des concertos pour clavier de Beethoven. Il s’agit du plus aventureux de tous ceux du Maître de Bonn, mais aussi sans doute le plus parfait, malgré le Concerto n° 5 dit « l’Empereur » qui le suit de trois ans. Ses cinq années de genèse (1802-1807) ne trahissent pas un mal d’inspiration mais au contraire une quête d’inouï et la volonté de perfection extrêmement développés de la part du compositeur. Ce quatrième concerto a été créé le même soir que les Cinquième et Sixième Symphonies, à Vienne, le 22 décembre 1808, au Theater an der Wien. Le piano atteint à une indépendance prodigieuse pour l’époque, donnant l’impression d’une continuelle improvisation, comme affranchi de toute contrainte formelle, tandis que l’Adagio un poco mosso central, malgré sa brièveté, constitue le faîte de la partition avec ses longues plages de silence qui en disent plus long qu’une guirlande de notes, aussi expressives soient-elles, ce qui donne à cet extraordinaire passage une modernité confondante tant elle reste encore actuelle. Andsnes et le MCO jouent avec délectation des modulations infinies des motifs qui passent et repassent entre le clavier, les cordes et les instruments à vent, le pianiste norvégien marquant ses interventions d’une hardiesse discrète mais impérieuse, entraînant l’orchestre à sa suite dans une pyrotechnie de timbres, de rythmes et de locution.  

Ne voulant de toute évidence pas mettre un terme à la soirée, aussi frais à la fin de sa prestation qu’au début, Leif Ove Andsnes a offert au public qui n’en attendait pas moins de sa part, deux éblouissantes Bagatelles de Beethoven.

Bruno Serrou

1) Les cinq concertos de Beethoven, avec, en supplément, la Fantaisie chorale, sont parus sous le titre « The Beethoven Journey » chez Sony Classical 3CD 88843058872

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