vendredi 11 décembre 2015

CD / Livre : Adolf Busch et le Quatuor Busch

Photo : (c) Bruno Serrou

Dans la perspective du cent vingt cinquième anniversaire de sa naissance, plusieurs événements font revivre la mémoire de l’un des plus grands violonistes de l’histoire, Adolf Busch : une superbe réédition de ses enregistrements pour le label HMV réunis en seize CDs par Warner Classics, un essai chez Actes Sud et une série de concerts à la Philharmonie de Paris à partir de janvier.

« Adolf Busch est un saint », constatait Arturo Toscanini après le refus du violoniste de se produire en Allemagne après 1933. Héritier de Joseph Joachim, Adolf Busch est le plus grand violoniste allemand de son temps. Musicien intègre, réfléchi et incroyablement expressif, Busch était soliste, chef d’orchestre et leader du Quatuor Busch, référence absolue du quatuor d’archets. Ses débuts d’enfant prodige en Westphalie, sa carrière de virtuose, ses tournées en soliste, en duo avec son gendre, l’immense pianiste Rudolf Serkin, et en quatuor en pays germaniques, en Grande-Bretagne, Italie, France, Etats-Unis et ailleurs, la création du Festival de Lucerne, son exil aux Etats-Unis où il fondera les Cours d’été de Marlboro, son enseignement (Yehudi Menuhin fut son élève), ses disques, avec son violon mais aussi à l’alto, ses propres œuvres de compositeur en font non seulement un artiste majeur du XXe siècle mais aussi une référence morale.

Photo : (c) Bruno Serrou

Avec son aîné Fritz Busch (1890-1951), l’un des plus grands chefs d’orchestre de son temps qui fut notamment directeur musical de l’Orchestre de la Staatskapelle de Dresde et membre fondateur du Festival de Glyndebourne, et son cadet Hermann Busch (1897-1975), violoncelliste, Adolf Busch appartient à une fratrie de musiciens parmi les plus fameux du siècle passé. De même ses talents dans d’autres modes d’expression artistique, la peinture, le dessin et l’architecture (il se faisait un devoir de visiter les bâtiments historiques où il jouait) n’étaient pas négligeables. Pourtant, il était de nature particulièrement modeste et sans prétention. En 1912, il fonde son premier quatuor avec trois de ses comparses du Wiener Konzertvereinsorchester (aujourd’hui Wiener Symphonieorchester), le Wiener Konzertvereinsquartett, qui devient en 1918 le Busch Quartet, qui sera le plus grand quatuor à cordes du XXe siècle au point de rapidement devenir la référence universelle en la matière.

Adolf Busch avec, à sa droite, son gendre Rudolf Serkin. Photo : DR

Disciple et ami de Max Reger, beau-père de Rudolf Serkin, époux de sa fille Irene, Adolf Busch comptait parmi ses amis Ferruccio Busoni, Berthold Goldschmidt, Hans Gál, Louis Moyse, Philip Naegele, Mieczyslaw Horszowski, Eugene Istomin, entre autres, mais aussi quelques inimitiés, comme Wilhelm Furtwängler, Jean Sibelius, Edwin Fischer et Elly Ney, autant pour des raisons musicales que politiques, particulièrement en raison de leurs relations plus ou moins ambiguës avec le nazisme. 

Le 1er avril 1933, alors qu’il arrivait à Berlin avec les trois autres membres de son quatuor, les nazis commencent dans la capitale allemande le boycott des magasins appartenant à des juifs. Plus tard dans la soirée, à l’issue du concert que le Quatuor Busch vient de donner sous les voûtes de la Marienkirsche les Sept dernières Paroles du Christ sur la Croix de Haydn, Adolf Busch déclenche une réunion au terme de laquelle est décidée l’annulation de la tournée allemande du quatuor, ainsi que tous ses concerts en soliste et ses récitals avec Rudolf Serkin. Cette soirée déterminante est le fruit de la position intransigeante de Busch à l’égard du nazisme, en dépit de plusieurs offres de Goebbels et de l’Etat nazi. Le public allemand devra attendre seize ans avant de réentendre le son du violon d’Adolf Busch. « En raison de l’impression produite sur moi par les actions de mes compatriotes chrétiens contre les juifs allemands [...] j’estime nécessaire d’interrompre ma tournée de concerts en Allemagne. » La décision de Busch et de son frère Fritz, qui doit renoncer sans attendre à ses fonctions à la tête de l’Opéra de Dresde, les distingue de la grande majorité de leurs confrères allemands, qui, pour la plupart, composeront avec le régime hitlérien. « Si vous pendez Hitler, avec Goering à sa gauche et Goebbels à sa droite, je reviendrais en Allemagne », répondit-il aux autorités de son pays qui l’invitaient à se produire en Allemagne avec son gendre Rudolf Serkin, bien que ce dernier fût juif. En 1938, Adolf Busch décidera également de boycotter l’Italie en raison des lois raciales promulguées par Mussolini, alors qu’il était l’un des musiciens les plus populaires de la péninsule. Avant son départ pour les Etats-Unis, il participe à la création du Festival de Lucerne et de l’Orchestre Symphonique de Palestine (futur Philharmonique d’Israël), dont il est le premier violon.

Adolf Busch (1891-1952). Photo : DR

En 1939, il émigre aux Etats-Unis avec ses partenaires du Quatuor Busch et Rudolf Serkin. L’Amérique est moins ouverte à son art que l’Europe, bien qu’il y connaisse le succès avec son orchestre de chambre et les cours d’été de Marlboro. Mais la vie lui est plus difficile que sur le vieux continent, les Américains ne prisant guère alors la musique de chambre. « Il était tellement allemand, dira Rudolf Serkin... et quand cette honte est survenue, il se sentait comme responsable. Je pense que cela aurait été plus facile pour lui s’il avait été juif. » Adolf Busch ne retrouve l’Allemagne qu’en 1949, avant de mourir trois ans plus tard aux Etats-Unis.

Le Quatuor Busch en 1932. Photo : DR

Malgré l'excellence de la concurrence exercée au même moment par de nombreux quatuors à cordes en Allemagne, comme les Amar, Deman, Dresde, Gewandhaus, Guarneri, Gürzenich, Havemann, Klingler, Wendling, le Quatuor Busch s’impose comme le meilleur de tous de l’entre-deux-guerres. C’est le 27 mai 1919, moins d’un an après la fin du premier conflit mondial, qu’Adolf Busch fonde à Berlin, où il est professeur à la Musik Hochschule, le Quatuor Busch, avec Paul Grümmer au violoncelle. L’altiste Karl Doktor les rejoint en 1921, ainsi que l’élève de Busch, le violoniste suédois Gösta Andreasson. En 1930, Grümmer cède la place à son propre élève Hermann Busch, frère d’Adolf. Leur premier concert officiel est organisé à Düsseldorf le 21 octobre 1919. La saison suivante, le quatuor donne le premier de ses nombreux cycles Beethoven, commençant de façon symbolique à Bonn, ville natale du compositeur, et il entreprend sa première tournée aux Pays-Bas. Au programme, Mozart, Beethoven et Reger. 

Adolf Busch, sa femme et sa fille en compagnie d'Arturo Toscanini en 1932. 

En 1921, le quatuor réalise sa première tournée italienne. La formation acquiert très vite la réputation de meilleur quatuor d’archets de son temps, donnant des concerts jusqu’au Vatican, sur l’invitation du pape Pie XI. Des tensions avec Paul Grümmer amènent au pupitre de violoncelle Hermann Busch en juillet 1930. Trois mois plus tard, le Quatuor Busch fait ses débuts au Royaume-Uni, où il commence à Londres une série d’enregistrements qui vont marquer l'histoire de l'interprétation du quatuor d'archets réalisés pour HMV dans les studios d’Abbey Road. Les Busch deviennent ainsi à eux seuls une véritable institution musicale à Londres. Alors qu’ils décident de ne plus se produire en Allemagne, ils effectuent leur première tournée aux Etats-Unis à Washington. En 1935, il renonce à sa résidence viennoise, avant de boycotter l’Autriche à la suite de l’Anschluss en 1938 ainsi que l’Italie. Installés à Bâle, les quatre musiciens deviennent chefs de pupitres de l’Orchestre du Festival de Lucerne. En 1939, à la suite d’une série de quatre concerts aux Etats-Unis, ils émigrent à New York en juin 1940. Mais suite à une crise cardiaque d’Aldolf Busch, le quatuor interrompt son activité qu’il reprend en 1941, Karl Doktor, souffrant, est remplacé en 1943 par l’altiste viennoise Lotte Hammerschlag, jusqu’à l’arrêt de toute activité en 1944. Après deux années sans, Adolf et Hermann Busch fondent un nouveau Quatuor Busch avec le violoniste Ernest Drucker et l’altiste Hugo Gottesmann. Cette formation se produit pour la première fois à New York, au Metropolitan Museum, dans un programme Beethoven. En 1947, malgré la mauvaise santé d’Adolf Busch, les Busch font une tournée triomphale en Grande-Bretagne, retrouvent la Suisse et l’Italie, avant de se rendre en Islande. Durant l’été, Drucker quitte le quatuor pour des raisons familiales. Vers la fin de l’année, Bruno Straumann le remplace et le quatuor donne un concert à New York, avec Rudolf Serkin au piano. L’activité du groupe se partage ensuite entre les Etats-Unis et l’Europe, passant notamment par les festivals de Strasbourg et d’Edimbourg, en 1949. Une tournée européenne doit être interrompue début 1950 en raison de la maladie d’Adolf Busch, mais en septembre le quatuor fait une tournée sud-américaine. En janvier 1951, le Quatuor Busch retourne enfin en Allemagne, donnant vingt concerts en un mois. Les derniers cycles Beethoven suivent en avril-mai 1951, en Italie et en Angleterre, et la carrière du Quatuor Busch se termine comme elle avait commencé trente-huit ans plus tôt, sur un quatuor de Haydn joué dans la maison d’amis anglais. Mais l'ultime concert a pour cadre l’Etat du Vermont aux Etats-Unis pour lequel Philipp Naegele remplace Gottesmann. Une tournée en Allemagne prévue en 1952 est annulée en raison de la maladie d'Adolf Busch, qui décide alors de se retirer. Sa mort, le 9 juin 1952 à Guildford dans le Vermont, met un terme définitif à l’existence de l'un des plus grands quatuors d’archets de l’Histoire.

Photo : (c) Bruno Serrou

Le coffret Warner Classics

C’est dire combien les enregistrements HMV du Quatuor Busch réunis en seize disques sont d’une importance capitale. A commencer par les indispensables huit parmi les seize quatuors à cordes de Beethoven, n° 1 op. 18/19 op. 59/3 « Rasumovsky », 11 op. 95 « Serioso », 12 op. 127, 13 op. 130, 14 op. 131, 15 op. 132 et 16 op. 135 enregistrés entre 1932 et 1941, tandis que la Grande Fugue op. 133 est proposée dans l’arrangement de Félix Weingartner pour orchestre à cordes où Adolf Busch dirige ses Busch Chamber Players. Leurs huitième, quatorzième et quinzième Quatuors à cordes de Schubert sont tout aussi nécessaires. Plus magiques encore, les Quatuor n° 1 et n° 3 de Brahms, ainsi que les deux Quatuors avec piano, le Quintette avec clarinette et le Quintette avec piano du compositeur hambourgeois. L’on retrouve également l’extraordinaire virtuose-humaniste Adolf Busch en duo avec son gendre Rudolf Serkin dans les Sonates op. 12/3, op. 24 « Printemps » et op. 30/2 de Beethoven, la Fantaisie D. 934 de Schubert, les deux premières Sonates de Brahms, les deux musiciens étant rejoints par Aubrey Brain dans le Trio pour cor, la Sonate n° 25 KV. 377 de Mozart, la Sonate op. 105 de Robert Schumann et la Sonate op. 84 de Max Reger, ainsi que dans des pages de Geminiani, Vivaldi et Jean-Sébastien Bach, qui permet d’écouter Adolf Busch en solo dans la Partita pour violon n° 2. Dans l’œuvre de ce dernier, l’on retrouve Adolf Busch chef d’orchestre à la tête de ses Busch Chamber Players, dirigeant les six Concertos brandebourgeois et les quatre Suites pour orchestre, ainsi que la Sérénade Nocturne KV. 239 et le Concerto pour piano n° 14 KV. 449 de Mozart avec Rudolf Serkin en soliste. Les reports CD de ces enregistrements réalisés entre 1929 et 1949 sont excellents.

Photo : (c) Bruno Serrou

Le livre Actes Sud

Parallèlement à la parution de ce coffret, qui ne présente pas la totalité des enregistrements d’Adolf Busch et du Quatuor Busch (il manque notamment les Quatuors n° 7 et n° 8 de Beethoven enregistrés à Londres en 1941 et 1942 pour RCA Victor), les éditions Actes Sud publient un essai d’André Tubeuf sur le grand violoniste allemand et son quatuor à cordes, Adolf Busch, le premier des justes. Un livre-déclaration d’amour qui se lit comme un roman, d’une traite, tant l’attention ne se relâche pas d’un bout à l’autre de l’ouvrage, et qui donne l’impérieuse envie de lire l'imposante monographie dont il s’inspire ouvertement, The Life of an Honest Musician de Tully Potter paru aux Etats-Unis chez Toccata Press en 2010, malheureusement épuisé et que l’on aimerait traduit en français.

Bruno Serrou

16 CD Warner Classics  0825646019311. Les éditions Actes Sud publient Adolf Busch, le premier des justes d’André Tubeuf (177p, 18€). La Philharmonie de Paris consacre six concerts à Adolf Busch en trois ans. Le premier est confié au Quatuor Renaud Capuçon, le 19 janvier.


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