lundi 27 février 2017

CD : Mstislav Rostropovitch intégrale Deutsche Grammophon pour les 90 ans de l’immense violoncelliste russe


Voilà bientôt dix ans, le 27 avril, disparaissait à l’âge de quatre-vingts ans, Mstislav Rostropovitch. Cet immense artiste a porté les caractéristiques et capacités fabuleuses d'humanité du violoncelle dans le grand public, parachevant ainsi le long travail de reconnaissance entrepris par son illustre aîné Pablo Casals.

Pour les quatre vingt dix ans de sa naissance à Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan alors l’une des Républiques de l’Union Soviétique, et pour la première décennie de sa mort, ses deux principaux éditeurs phonographiques, DG et Warner, publient deux volumineux coffrets réunissant la totalité de ses enregistrements réalisés pour ces labels.

DG (Deutsche Grammophon) est le premier à présenter sa part des enregistrements de Rostropovitch. Autant en tant que violoncelliste soliste et chambriste que comme chef d’orchestre et pianiste accompagnateur. Le tout en un coffret de trente-sept CDs, de 1950 à 2002. Soit plus d’un demi-siècle de cheminement d’un artiste humaniste citoyen du monde.

Car Mstislav Rostropovitch reste aujourd’hui encore dans les mémoires autant comme un virtuose qui a marqué le paysage musical international de son temps par ses interprétations d’œuvres du répertoire et contemporaines, suscitant une centaine d’œuvres nouvelles, que comme un défenseur de la liberté d’expression, des valeurs démocratiques et de causes humanitaires comme la lutte contre le Sida.


Rostropovitch avait commencé le piano avec sa mère russe dès l’âge de quatre ans, puis le violoncelle avec son père d’origine polono-biélorusse, qui avait étudié avec Pablo Casals. A treize ans, il donne son premier concert en  interprétant en 1940 le Concerto pour violoncelle et orchestre n° 1 de Camille Saint-Saëns. Trois ans plus tard, il entre au Conservatoire Tchaïkovski de Moscou, où il étudie le piano, le violoncelle, la direction et la composition. Parmi ses professeurs, Vissarion Chebaline, Dimitri Chostakovitch et Serge Prokofiev. Il remporte les Concours de Prague et de Budapest, en 1947, 1949 et 1950, année où il se voit remettre par Joseph Staline la plus haute distinction civile soviétique de l’époque, le Prix Staline. En 1955, il épouse la soprano Galina Vishnevskaïa. Il se produit pour la première fois en Occident en 1960, à Bruxelles, dans le Concerto pour violoncelle et orchestre d’Antonin Dvorak avec l’Orchestre National de Belgique, où il revient en 1963, à Liège, sous la direction de son compatriote Kirill Kondachine, avant d’effectuer en Europe plusieurs tournées à l’occasion desquelles il rencontre Benjamin Britten, Henri Dutilleux et nombre de compositeurs qui commencent à écrire pour lui. « Artiste du peuple d’URSS » en 1966, il dirige l’année suivante au Bolchoï son premier opéra, Eugène Onéguine de Tchaïkovski.

Homme libre s’exprimant sans réserve et soutenant des causes mal vues par le régime de Leonid Brejnev, Rostropovitch commence à rencontrer des difficultés en Union Soviétique. Son amitié avec Alexandre Soljenitsyne qu’il accueille chez lui en 1970 et son soutien aux opposants au régime communiste conduisent à sa disgrâce au début des années 1970. En 1974, il obtient l’autorisation de quitter l’URSS avec sa femme et leurs enfants et s’installe aux Etats-Unis. Quatre ans plus tard, il est officiellement déchu de sa nationalité soviétique pour « actes portant systématiquement préjudice au prestige de l’Union Soviétique », et se retrouve apatride. En 1977, un Concours international de violoncelle portant son nom est créé à Paris qu’il présidera jusqu’à sa mort, et prend la direction musicale de l’Orchestre Symphonique National de Washington jusqu’en 1994. En outre, il dirige plusieurs festivals, comme Aldeburgh, Rostropovitch ou Evian, que finance l’industriel Antoine Riboud. Il sollicite de nombreux compositeurs pour leur passer des commandes parmi lesquels Chostakovitch, Prokofiev, Britten, Dutilleux, Messiaen, Xenakis, Bernstein, Lutoslawski, Penderecki…

Le 9 novembre 1989, il joue sur une chaise devant un pan de mur quelques heures à peine après la chute du mur de Berlin. Les images de cette prestation improvisée prises par la télévision allemande font rapidement le tour du monde. Le 16 janvier 1990, Mikhaïl Gorbatchev décrète la réhabilitation de Rostropovitch, qui s’implique dès lors dans la vie officielle de son pays. Il soutient Boris Eltsine pendant la crise institutionnelle en dirigeant sur la Place Rouge l’Orchestre Symphonique National de Washington, puis il soutient Vladimir Poutine lorsque ce dernier est accusé de corruption et de museler la liberté d’expression. En 1998, il devient Ambassadeur de bonne volonté de l’UNESCO et crée avec sa femme la Fondation Vishnevskaïa-Rostropovitch dans le but de stimuler des projets sociaux.


Tous les enregistrements de Mstislav Rostropovitch réunis dans ce gros coffret de trente-sept CDs par DG sont d’une valeur inestimable. Y sont également regroupés ceux qu’il réalisa pour le label Decca, particulièrement ceux qu’il fit avec Benjamin Britten non seulement les œuvres du compositeur britannique mais aussi Bridge, Debussy, Haydn, Schubert, Schumann. Trente-sept CDs pour s’immerger dans les sonorités onctueuses, pleines, fiévreuses et aux riches harmoniques du violoncelle Stradivarius de 1711 qui avait appartenu à Jean-Louis Duport et à Auguste-Joseph Franchomme. Tous enregistrements qui ont fait sensation à leur parution et qui restent aujourd’hui des références. Nous retrouvons ainsi les Concertos pour violoncelle et orchestre de Robert Schumann en deux versions - l’une captée à  Moscou en 1957 sous la direction de Samuel Smosud l’autre en 1960 avec Guennadi Rojdestvenski de 1960 -, Antonin Dvorak avec Herbert von Karajan en 1968, deux versions des Variations Rococo de Piotr I. Tchaïkovski (Rojdestvenski et Karajan), le Deuxième de Chostakovitch avec Seiji Ozawa, le Deuxième de Boccherini avec Paul Sacher, le Concerto de Haydn et le Premier de Saint-Saëns enregistrés à Moscou en 1955 avec Grigory Stolyarov, celui de Tartini, et deux concertos de Vivaldi avec Paul Sacher… Le chambriste se révèle autant en duo avec des partenaires parmi les plus grands, Sviatoslav Richter (intégrale des Sonates de Beethoven), Martha Argerich (Chopin, Schumann), Rudolf Serkin (Brahms) qu’en diverses formations, du trio au quintette, avec le Melos Quartett, l'Emerson String Quartet et le Taneyev Quartet dans trois versions du Quintette avec deux violoncelles de Schubert, Anne-Sophie von Otter et Bruno Giurana (Beethoven), Emil Gilels et Leonid Kogan (Beethoven, Haydn, Schumann, Fauré, ce dernier avec Rudolf Barshaï à l’alto), Alexander Dedyukhin (Rachmaninov, Chopin, Schubert, Schumann, Granados, Borodine, Prokofiev, Popper)… Le chef d’orchestre dirige le Concerto pour piano de Schumann et le Deuxième de Chopin avec Martha Argerich en soliste, les Suites de ballets la Belle au bois dormant, le Lac des cygnes et Casse-Noisette de Tchaïkovski (avec le Philharmonique de Berlin), la Symphonie n° 5 de Chostakovitch, les deux Suites du ballet Roméo et Juliette de Prokofiev, les Concertos pour piano n° 3 de Rachmaninov et de Prokofiev avec Mikhaïl Pletnev. Enfin, côté opéras, une très bonne version de Tosca de Puccini et, surtout, une excellente Dame de Pique de Tchaïkovski, deux enregistrements réalisés à Radio France avec l’Orchestre National de France réunissant des distributions de premier plan, particulièrement l’épouse de Mstislav Rostropovitch, Galina Vishnevskaïa dans le rôle-titre de l’ouvrage de Puccini et Liza dans celui de Tchaïkovski. Enfin, Rostropovitch accompagne au piano son épouse dans un récital de mélodies de Moussorgski, Tchaïkovski et Prokofiev.

Un coffret à se procurer toute affaire cessante, considérant son prix et la valeur de témoignage artistique de l’un des plus grands musiciens de la seconde moitié du XXe siècle. En attendant celui que Warner s’apprête à publier avec de rares doublons avec celui-ci.

Bruno Serrou

1 coffret de 37 CD « Mstislav Rostropovitch Complete Recordings on Deutsche Grammophon ». 33h 41mn 05s. DG 00289-479 6789

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